Nostradamus
en travers de son
lit.
Montecuculi, à ce moment, pénétrait dans la
chambre du dauphin François. Il portait un plateau sur lequel
reposait une coupe de cristal. Le prince était assis, la tête dans
la main. À l’entrée de Montecuculi, il releva la tête.
– Tu es le bienvenu, dit-il, je meurs de
soif.
– C’est la fièvre, parvint à murmurer
Montecuculi.
François saisit la coupe en disant :
– C’est la boisson que tu me donnes tous
les soirs ?
– La même ! balbutia
Montecuculi.
– Qu’as-tu donc ? Tu es pâle comme
la mort.
Et François vida la coupe jusqu’à la dernière
goutte.
– Excellent, dit-il en reposant le
cristal dans le plateau. Envoie-moi mon valet de chambre. Je veux
essayer de dormir.
Montecuculi sortit, emportant le plateau.
– Il va de travers, murmura François. Il
est ivre. Où est le temps où moi aussi je m’enivrais
joyeusement ? Mais comment oublier jamais cet infernal
amour !… Tuée par moi, Marie est toujours vivante en mon
cœur !… Oh ! comment oublier la nuit terrible où je la
suivis pas à pas depuis sa sortie du Temple, et où je l’abattis à
mes pieds !… Comment oublier surtout, que Marie a cédé à mon
frère Henri dans le temps qu’elle me résistait !… Et qu’elle
en a eu un fils !…
Ainsi, ce n’était pas le remords qui
assombrissait le dauphin ! C’était la même fureur jalouse
qu’autrefois ! L’enfant que Marie avait mis au monde dans son
cachot, c’était le fils d’Henri ! Ce soupçon était né dans son
esprit – et maintenant, le dauphin se mourait de haine et de
jalousie.
V – LE SAUVEUR
Le lendemain, vers 7 heures du matin, les
chevaux piaffaient sur la place de Tournon ; le cor appelait
les retardataires. Cependant, le dauphin n’arrivait pas. Ni le
prince Henri.
Tout à coup, un bruit se répandit et un
silence consterné remplaçait les éclats de rire. Le dauphin était
malade.
Quoi ? Quel mal ? On ne savait.
Une heure se passa. Puis deux. Puis on vit
partir des courriers envoyés au roi par le prince Henri. Enfin,
vers 10 heures, apparut le prince Henri. Ce fut d’une voix brisée
par les larmes, qu’il prononça :
– Mon bien-aimé frère, atteint d’un mal
inconnu, mais que les médecins déclarent peu grave, m’a donné
l’ordre de prendre le commandement et de continuer la route. Ainsi,
nous allons partir – et que Dieu garde mon frère !…
Bientôt l’ordre de marche fut formé. Toute
cette masse s’ébranla, disparut vers le Sud dans des nuages de
poussière.
*
*
*
À 6 heures du matin, le valet de chambre du
dauphin s’était approché de son lit, et il l’avait touché à
l’épaule – car l’heure du départ approchait. François ouvrit les
yeux, et sourit.
– Quoi ! murmura-t-il, déjà le
jour !…
– Six heures, monseigneur, fit le valet
tout joyeux. Monseigneur, vous n’avez fait qu’un somme. Je suis
entré deux fois… jamais je ne vous ai vu dormir d’aussi bon
cœur.
– Heureuse nuit ! dit le dauphin. Il
me semble qu’elle a duré cinq minutes. Allons, habille-moi.
En même temps, François se souleva sur sa
couche. Aussitôt, sa tête retomba pesamment sur l’oreiller.
Le dauphin crut à un étourdissement passager.
Une deuxième tentative brisa ses forces. Il murmura :
– Je suis mal… bien mal…
– Au secours ! cria le valet en
s’élançant hors de la chambre. Monseigneur le dauphin se trouve
mal !…
Dix minutes plus tard, le médecin du dauphin
entrait et l’examinait. Puis le médecin du prince Henri arrivait.
Les deux personnages échangèrent d’abondantes paroles, desquelles
il résultait que Monseigneur était pris d’un mal qu’on ne
connaissait pas, mais qui devait être bénin. En effet, tant que
François demeurait étendu, il n’éprouvait aucun symptôme, mais
lorsqu’il essayait de se soulever, la tête lui tournait. Les deux
médecins conclurent que le malade devait rester couché jusqu’au
lendemain sans s’inquiéter.
Le dauphin approuva et donna l’ordre qu’on lui
amenât son frère. Il fallut, par trois fois, aller le chercher. Les
gens de l’antichambre le virent enfin passer, le visage pâle, les
mains tremblantes.
Depuis la terrible nuit où Marie avait été
prise de l’enfantement, les deux princes ne se voyaient qu’à peine.
En voyant entrer son frère, François l’étudia d’un long et profond
regard.
– M’aimerait-il vraiment, songea-t-il, et
serais-je le
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