Nostradamus
répéta le prêtre.
Le prince, à demi soulevé, paraissait
transfiguré.
– Dès lors, continua Pézenac, dès qu’il y
eut par la ville un malade, un mourant, le cachot fut ouvert. Le
sorcier guérissait. Car les uns l’appellent le sorcier. D’autres
disent seulement le guérisseur… Monseigneur, voulez-vous voir cet
homme ?
– Qu’on l’amène ! râla le prince.
Vite ! je me meurs !…
Cinq minutes plus tard, les gentilshommes de
l’antichambre s’écartaient avec épouvante devant celui qui
venait : un jeune homme, aux yeux enfoncés sous l’orbite, d’où
jaillissait un insoutenable éclat, aux joues creuses… Nostradamus
entra !…
– Que tout le monde sorte ! dit
Nostradamus.
Le prince, d’un regard terrible, ordonna qu’on
obéît à celui qui apportait la vie !… La chambre,
instantanément, se vida, et le prisonnier alla fermer la porte. La
douleur d’âme et les souffrances de corps l’avaient aminci. Là où
un autre eût maigri, lui s’était immatérialisé. Une flamme intense
fusait de ses yeux, comme si la vie de tout son être se fût
concentrée dans le regard en s’y décuplant.
Nostradamus marcha au lit sur lequel agonisait
le dauphin, l’un des deux bourreaux de Marie de
Croixmart !…
Nostradamus se pencha sur le mourant et
l’examina longuement. François hochait la tête avec une infinie
tristesse. Il s’abandonnait. Il n’était plus l’orgueilleux dauphin…
il n’était plus qu’une pauvre loque d’humanité que le souffle glacé
de la mort allait précipiter au néant.
Bientôt, sur le visage du guérisseur, s’effaça
la curiosité du savant, et s’étendit une aube de pitié… De la
pitié !…
Nostradamus… Renaud… cet homme oubliait à ce
moment qu’il avait porté toute la douleur humaine… Nostradamus eut
un sourire, prit dans sa main la main du moribond et
murmura :
– Regardez-moi… Ayez confiance en
moi…
– J’ai confiance, râla le dauphin.
Nostradamus se pencha davantage. Son sourire
se fit plus bienveillant. Et il prononça ces étranges
paroles :
– Cette nuit, du fond de mon cachot, j’ai
crié à quelqu’un qu’il serait Caïn. J’arrive à temps.
Rassurez-vous.
– Que je me rassure ? bégaya le
prince, qui entendit ce seul mot.
– Oui, puisque je suis là, vous
VIVREZ !…
Nostradamus présenta au prince une petite
boule blanchâtre. François l’absorba avidement. Presque aussitôt,
il sentit les forces lui revenir, il remonta du fond de la
mort.
– Je suis sauvé ! murmura-t-il avec
ferveur.
– Pas encore, dit Nostradamus avec un
sourire. Je viens simplement de vous administrer un puissant
extrait capable de faire reculer la mort pour quelques heures.
– Mais alors ! Au bout de ces
quelques heures !…
– Eh bien ! je vous l’ai dit, vous
vivrez. Car c’est plus de temps qu’il ne m’en faut pour
préparer…
Le prince leva sur lui des yeux pleins
d’angoisse et râla :
– Pour préparer ?…
– Il est juste que vous le sachiez :
pour préparer l’antidote !
– L’ANTIDOTE ! rugit le dauphin.
Oh ! Je suis donc…
– EMPOISONNÉ !…
Chapitre 6 LA MARCHE AU MYSTÈRE.
I – MARIE EST APPELÉE
Le dauphin jeta un cri terrible. À cette
clameur déchirante, la porte fut violemment ouverte, la chambre fut
envahie.
– Dehors ! hurla François. Dehors,
tous !
– Sauvé ! crièrent les
gentilshommes. Noël ! Miracle !…
Devant cette explosion de joie sincère,
François se prit à sourire. Les assistants faisaient cercle autour
du guérisseur, qui écrivait rapidement. Nostradamus se leva. Le
cercle reflua. On oubliait l’ordre du dauphin. On oubliait
l’étiquette, le respect. Toutes les croyances sociales
s’effondraient devant l’événement : le prince qu’on avait
laissé agonisant était là, plein de vie !
– Messieurs, reprit le dauphin,
retirez-vous. Et quoi que vous entendiez, gardez-vous d’entrer sans
être appelés.
On obéit, non sans manifester encore une joie
bruyante.
– Procurez-moi d’ici une heure au plus
tard, dit Nostradamus à l’un des assistants, les objets, les herbes
et les liquides dont la liste est sur ce papier. Allez,
hâtez-vous.
Celui à qui il parlait était un seigneur de
haut lignage, le jeune duc de Semblançay, capitaine des gardes du
dauphin. Le duc prit en tremblant le papier.
– Il faut du feu dans la cheminée, dit
alors Nostradamus.
Des valets, des gentilshommes
Weitere Kostenlose Bücher