Nostradamus
se
précipitèrent. Au bout d’un quart d’heure, tout ce qu’avait demandé
le guérisseur était sur la table. Les deux médecins, plongés dans
la stupeur, contemplaient avec vénération les herbes, les liquides,
les ustensiles de cuisine étalés sur la table. Le prêtre priait
pour l’âme du sorcier et suppliait le seigneur de l’arracher aux
griffes du démon.
– Maintenant, dit Nostradamus, sortez
tous.
On obéit. Celui qui commandait, ce n’était pas
un roi. C’était un agent des mystérieuses puissances qui commandent
aux rois. Nostradamus et le dauphin demeurèrent seuls…
– Répétez-moi que je vivrai… supplia
François.
– Vous vivrez, dit Nostradamus, qui
commençait activement ses manipulations.
– Et vous dites que j’ai été
empoisonné ?
– Oui.
J’ai su, la nuit dernière, que
quelqu’un allait être empoisonné, mais je n’ai pu savoir qui allait
mourir…
– Vous avez su !… balbutia François,
frissonnant.
– Sans doute, reprit Nostradamus.
J’ai même essayé de détourner l’empoisonneur de son
projet…
Je n’ai pas réussi.
– Mais vous étiez au cachot, m’a-t-on
assuré !…
– Oui, enchaîné par les deux
chevilles.
– Et pourtant vous avez essayé d’empêcher
le crime !
Le dauphin sentit le froid de la peur se
glisser jusqu’à ses moelles. Il était frappé de vertige. Mais il
avait aussi une lancinante curiosité… Savoir ! À tout prix,
dût-il en mourir, savoir ce qu’était cet homme ! Et surtout,
savoir qui avait perpétré le crime !…
– Je vous conjure, bégaya-t-il, je vous
adjure de me dire si vous êtes d’essence infernale ou céleste…
– Je suis d’essence humaine. J’ai pleuré
et je pleure. N’est-ce pas à cela qu’on reconnaît les
hommes ?…
Il continuait ses manipulations rapides.
Longuement, François le considéra en silence. Il tremblait.
Nostradamus lui dit :
– Allons, n’ayez pas peur.
La peur sortit de l’âme de François. Mais la
curiosité lui vint, plus terrible, de savoir le nom de
l’assassin.
– Vous dites, reprit-il, que j’ai été
empoisonné ?
– À mon premier examen, j’ai reconnu le
poison. Il est longuement décrit dans un livre très rare
intitulé :
De l’usance des poisons.
– Un livre ? fit le dauphin en
tressaillant.
– Oui. Et ce poison ne pardonne jamais.
Nous sommes peut-être dix en Europe à en connaître l’antidote. Mais
il suffit que je sois un de ces dix. Vous serez sauvé.
– Et vous avez cette nuit connu
l’empoisonneur ?
– Non.
J’ai été prévenu
que
quelqu’un allait être empoisonné. Mais
maintenant
je sais
le nom de l’empoisonneur…
– Vous le savez ? gronda le
dauphin.
Nostradamus cessa son travail, s’approcha et
dit :
– Je le sais. Et je sais aussi que vous
voulez le savoir !
– Oui ! oh ! oui !… Sur
mon âme, je le veux !
Nostradamus parut une minute rêveur. Il
murmura :
– Oui. Il est
juste
que vous
l’appreniez. Sachez donc que cette nuit j’ai jeté dans l’espace un
cri d’avertissement à l’empoisonneur. Et je suis sûr qu’il m’a
entendu. Or, sachez-le, je l’ai appelé Caïn…
– Caïn ! rugit François. Mais alors…
ce serait donc…
– Je ne savais pas qui on voulait
empoisonner. Je ne savais pas qui était l’empoisonneur. Mais je
savais que l’assassin méritait le nom de Caïn… et je l’ai appelé
Caïn.
– Caïn ! Caïn qui tua son…
frère !…
– Vous l’avez dit ! fit Nostradamus
avec simplicité.
Et il reprit son travail actif.
– Henri ! C’est mon frère qui m’a
empoisonné !… Caïn…
Ils ne se dirent plus rien. Le temps
s’écoulait. Onze coups tintèrent. Nostradamus s’approcha du
dauphin. Il tenait une fiole dans laquelle s’agitait un liquide de
couleur émeraude. François tendit la main.
– Non, fit doucement Nostradamus. Il est
nécessaire que cette liqueur se concentre. Une heure est encore
indispensable.
– À minuit donc ! dit le
dauphin.
– Oui… À minuit, reprit Nostradamus.
D’ici là, dormez.
Sous le regard de Nostradamus, le dauphin
sentit un invincible sommeil s’emparer de lui. Il
balbutia :
– Je dormirai donc… je m’abandonne à
vous… ma volonté, devant la vôtre, s’efface, fuit, et
s’évanouit…
Tout à coup, ses yeux se fermèrent. Alors
Nostradamus laissa tomber sa tête dans ses mains. En lui, le savant
s’effaça. Il n’y eut plus que la
Weitere Kostenlose Bücher