Nostradamus
désignée à l’obéissance des
affidés de France. Et lorsque je veux m’en aller mourir à Rome,
content de pouvoir dire à saint Pierre que les destinées du plus
beau royaume de la chrétienté sont en bonnes mains, que me
dites-vous, madame ?… Que vous voulez aller consulter une
façon de devin ou d’astrologue, une créature du démon, quelque
chose de pis, peut-être : un savant !…
– Messire, je suis reine, il est vrai.
Mais je suis femme aussi. Écoutez. Voici quelques jours que ce
Nostradamus est dans Paris. Et déjà sa réputation, pareille à une
traînée de feu, s’est répandue dans la ville. Je veux le voir. Je
veux voir cet homme, qui est capable de me montrer de quoi est fait
demain.
– C’est à Dieu, qu’il faut poser ces
sublimes questions.
– J’ai parlé à Dieu. Je l’ai prié selon
la formule que vous m’avez donnée. Les puissances du ciel ne m’ont
pas répondu. Puisque le ciel est sourd, c’est à l’enfer que je veux
parler.
Le premier général des jésuites se signa et
murmura :
–
Fiat voluntas tua.
– Je suis résolue à savoir ! reprit
Catherine. Et s’il ne s’agissait que de moi… Je sais que mon heure
viendra. Mais Henri, mon cher Henri, mon chérubin…
– Henri ? interrogea le moine.
– Le troisième de mes enfants…
Comprenez-vous ?… Ils sont deux avant lui !… Exclu de la
royauté… à moins que Dieu… n’appelle à lui ses frères… avant
l’âge…
En parlant ainsi, Catherine de Médicis
baissait la voix. Loyola la considérait avec une curiosité
épouvantée.
– Voulez-vous le voir ? reprit
Catherine.
Catherine pénétra dans une chambre éclairée
par une veilleuse. Là dormaient les trois premiers fils du roi
Henri. C’était une sorte de dortoir dont seul était exclu le plus
jeune fils du roi, François [8] , qui
couchait encore avec la nourrice.
Il y avait là trois lits à colonnes. À gauche,
c’était le lit de François [9] , l’époux de
Marie Stuart, au visage pâle et maigre, qui allait sur sa quinzième
année. À droite, c’était le lit de Charles [10] . Il
avait environ neuf ans. Par les courtines entr’ouvertes, on le
voyait, les yeux ouverts et fixes.
– Vous ne dormez pas, Charles ?
demanda Catherine sèchement. Il faut dormir. Allons, fermez les
yeux.
Charles ferma ses paupières en poussant un
soupir. Catherine tira la courtine et se dirigea vers le fond de la
pièce. Là, c’était le lit d’Henri [11] . La mère
écarta les rideaux.
Il achevait sa septième année. C’était le plus
beau des quatre. Il souriait en dormant. De magnifiques boucles
blondes encadraient son fin visage. Catherine s’était penchée.
– Regardez-le, murmura-t-elle
extasiée.
Le profond et subtil regard de Loyola ne
chercha pas l’enfant, mais la mère. Et il la vit transfigurée,
attendrie.
Alors, le regard du moine se porta sur les
lits de François et de Charles, de ceux qui empêcheraient Henri de
régner… si
Dieu avant l’âge ne les appelait pas à
lui !
Et il songea :
– Condamnés !…
Peut-être son œil de flamme avait-il découvert
dans l’âme de la reine, des germes qu’elle ignorait
encore !…
– Bénissez-le ! reprit doucement
Catherine.
Et elle s’agenouilla. Loyola récita une prière
qu’il termina par le signe de la bénédiction. Alors, Catherine se
releva, puis, suivie du moine, rentra dans sa chambre.
– Avez-vous compris ? gronda-t-elle
en saisissant le bras de Loyola. Je veux savoir si Henri,
mon
fils, régnera. Et puisque vous ne pouvez me répondre,
vous l’envoyé de Dieu, allons voir l’envoyé de Satan !
II – L’HÔTEL DE LA RUE FROIDMANTEL.
Vers le milieu de la rue Froidmantel s’élevait
un ancien hôtel seigneurial flanqué de tourelles et entouré d’un
fossé, vestiges des époques féodales.
Un mois avant, l’hôtel avait été acheté par un
étranger pour le compte de son maître. C’était un petit vieux,
parcheminé : Une nuée d’ouvriers s’abattit sur l’hôtel.
L’hôtel se trouva magnifiquement aménagé. Puis le vieux partit en
disant qu’il se rendait à Fontainebleau à la rencontre de son
maître.
C’est devant cette demeure que la reine et son
compagnon s’arrêtèrent, leur escorte étant restée à vingt pas. Il
était onze heures.
– Nous arrivons à la minute fixée,
murmura Catherine.
Ils étaient masqués tous deux. Par surcroît,
la reine se couvrait de son voile, et le cavalier de
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