Nostradamus
dès lors les ombres
qui vont se reporter sur
la lumière ?
Et, ne pourra-t-il pas indiquer à son
compagnon ce que vont être ces ombres, dans quel sens elles vont se
mouvoir ?… Cette caverne, madame, c’est notre univers. Ces
ombres, c’est l’ensemble de ce que nous voyons. Il est donné à de
rares créatures humaines de se tourner vers l’extérieur, de
surprendre la
réalité positive
et d’indiquer à leurs
compagnons
quelles ombres vont se porter sur la muraille de la
vie terrestre,
C’EST-À-DIRE QUELS ÉVÉNEMENTS VONT
S’ACCOMPLIR.
– Et tu prétends être une de ces
créatures ?… fit Loyola.
– J’en suis une, seigneur, dit simplement
Nostradamus.
– Sacrilège ! rugit Loyola. Que
fais-tu de Dieu !…
– Dieu,
c’est le désir suprême de
l’homme,
la secrète espérance en une vie recommencée dans le
cycle de l’éternité. Croire en Dieu, c’est désirer la perpétuation
de l’homme.
– Je n’entendrai pas plus longtemps ces
blasphèmes !
Et Loyola se leva. Nostradamus étendit la main
vers lui :
– Seigneur gentilhomme, vous ne vous en
irez pas sans emporter une preuve de ma science. Madame,
aujourd’hui, à six heures du soir, une dépêche a été glissée sous
la porte de ce logis. Elle m’annonçait la visite d’une dame de
qualité pour onze heures. Et c’est tout. La dame de qualité, c’est
vous, madame. Quant à vous, monsieur, je ne vous connais pas. Je ne
savais pas que vous viendriez. Vous êtes masqué. Un ample manteau
dissimule vos vêtements. Maintenant, écoutez…
Loyola se sentit frissonner.
– Monsieur, dit Nostradamus,
soixante-huit ans sont écoulés depuis le jour où dans un pays
montagneux, une dame de haute noblesse a éprouvé pour la onzième
fois les douleurs de l’enfantement. C’était dans un château
dominant le pays d’alentour. La dame voulut enfanter dans une
étable, comme la Vierge, et donna à l’enfant qui vint au monde le
nom d’Inigo.
– Démon ! balbutia Loyola qui, pour
la première fois, sentit une inexprimable terreur se glisser
jusqu’à son cœur.
– Faut-il vous dire, reprit Nostradamus,
qu’Inigo de Loyola fut page du roi Ferdinand V, qu’il
commandait une compagnie dans une ville assiégée par l’étranger,
qu’il y reçut une blessure dont il boite encore, et qu’il se voua
dès lors au culte de Jésus !… Faut-il vous dire, qu’entré dans
les ordres, il a fondé une compagnie nouvelle, qu’il a imposé aux
papes et aux rois cet ordre religieux qui compte maintenant des
suppôts dans le monde entier ? Faut-il ajouter qu’Ignace de
Loyola sentant sa mort prochaine a voulu revoir une dernière fois
la France, donner ses instructions suprêmes à Catherine de Médicis,
son meilleur élève, et qu’enfin Ignace de Loyola est entré dans
cette maison pour me traiter d’imposteur ?…
– Venez, madame, gronda Loyola. Vous êtes
en perdition.
–
Je veux savoir !
murmura
sourdement la reine.
– Je ne demeurerai pas dans la maison de
Satan !
– Venez, messire, dit gravement
Nostradamus.
Et il conduisit Loyola jusqu’à une des portes
en disant :
– Adieu, messire. Bientôt nous nous
reverrons.
– Jamais ! À moins que tu ne sois
sur un bûcher.
Nostradamus saisit la main de Loyola, et se
pencha sur lui. Dans cette minute, il était terrible à voir.
– Nous nous reverrons ! acheva-t-il.
Car il faut que tu sois puni des malheurs que ta méchanceté a jetés
dans la vie d’un innocent. Souviens-toi de Tournon !…
Nostradamus se tourna vers le petit vieux qui
était là :
– Escorte cet homme, dit-il. Fais-lui
honneur. Il m’appartient !
Loyola plia sous cette rafale de haine qui
tombait sur lui. Quand il se redressa, il ne vit plus que le petit
vieillard qui lui montrait le chemin.
IV – LE CERCLE MAGIQUE
– Madame, dit Nostradamus en revenant
s’asseoir devant Catherine de Médicis, je sais qui vous êtes. Vous
pouvez donc ôter votre masque.
Le ton était affable, la parole respectueuse.
Catherine cessa de trembler.
– Les questions que vous avez à me poser
sont terribles, reprit Nostradamus. Il faut que vous m’indiquiez
clairement les circonstances au milieu desquelles vous évoluez.
Mieux je vous connaîtrai, et plus claires seront mes réponses.
– Eh bien, oui ! dit Catherine. Je
serai franche avec les Puissances dont vous êtes le représentant,
afin qu’elles le soient avec moi. Mais… je suis
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