Notre France, sa géographie, son histoire
pays de sa mère — et la Bretagne. Ce fut seulement en 1835 que M.
Michelet, chargé par l'État de rechercher dans les archives laïques et
ecclésiastiques de la province tout ce qui pouvait accroître les richesses de
nos Archives nationales, entreprit, en compagnie de son élève et ami, M. Victor
Duruy, sa grande tournée dans le sud-ouest, le midi et le centre de la
France.
Ce voyage se fit à petites journées, le plus, souvent par la bonne
diligence qui vous menait de ville en ville en musant beaucoup sur la route. Il
semblait alors que voyageurs et postillons eussent du temps à perdre. Cette
lenteur, comparée à la rapidité vertigineuse de nos chemins de fer, était
presque une halte dans le mouvement. Elle laissait tout loisir d'étudier la
contrée, d'observer les hommes et les choses. Que faire encore dans les longues
montées, les longs relais, sinon esquisser le paysage ?...
Il y avait dans le Tableau de la France , tel que nous l'a donné
Michelet, beaucoup moins de géographie que d'histoire. Grâce à l'appoint de son Journal de voyage , riche en descriptions, l'équilibre se rétablit. Je
préviens néanmoins le lecteur qu'il ne trouvera pas là ce que donnent les
manuels, je veux dire la sèche énumération des montagnes, des fleuves, des
rivières, etc. Cette nomenclature aride, qui ne dit rien à l'imagination de la
physionomie spéciale d'un pays, n'eût point été à sa place dans une géographie
historique.
Ce que contient le livre que je suis à la veille de publier, c'est Notre France , non dans son unité actuelle qui a effacé toute trace des
divisions et subdivisions de la vieille France féodale, mais s'exprimant, au
contraire, par la forte personnalité de chaque province séparée encore du centre
monarchique et vivant de sa vie indépendante.
Ces individualités provinciales ont été mises en relief par M.
Michelet avec une telle vigueur, qu'on les voit, au bout de tant de siècles,
vivre, agir, s'agiter, combattre, tourbillonner dans la mêlée des intérêts et
des passions qui les armèrent les unes contre les autres sans grâce ni merci.
Parfois, une page qui ne dépasse pas la mesure de l'in-12 contient dans ce
cadre étroit toute la France d'une époque : les hommes, l'action, le
paysage.
Si vous voulez un exemple du merveilleux secours que la géographie —
venant même de profil — peut prêter à l'histoire, lisez comment se fit la
rencontre du Midi et du Nord au commencement du quinzième siècle. Un seul coup
de pinceau suffit à l'historien-géographe pour faire le portrait des provinces
d'où partent les combattants ; un mot suffira également au moraliste pour
marquer l'influence que chaque milieu a dû exercer sur le caractère des
races.
Ce sont les Béarnais et les Armagnacs — deux types de Gascons qu'il ne
faut pas confondre — qui se mettent en marche pour aller reprendre, disent-ils,
le Nord sur les Anglais, mais, en réalité, pour le piller à leur tour.
« Or, nous dit Michelet, ces gens du Midi faisaient horreur à
ceux du Nord. » Et, pour nous livrer le secret de cette aversion, tout de
suite il met les deux partis aux prises.
Ce n'est d'abord qu'une mêlée confuse :
« La campagne, à la voir de loin, était toute noire de ces
bandes fourmillantes : gueux ou soldats, on n'eût pu le dire ; qui à
pied, qui à cheval, à âne ; bêtes et gens maigres et avides à faire
frémir, comme les sept vaches dévorantes du songe de Pharaon. »
La lumière se fait pourtant dans cette cohue tumultueuse ; les
Méridionaux sont les premiers qu'elle frappe. Nous allons donc voir ces
barbares, ces brigands », les Armagnacs : 1
« Quoique le caractère ait peu changé, nous ne devons pas nous
les figurer comme nous les voyons et les comprenons aujourd'hui. Tout autres
ils apparurent à nos gens du quinzième siècle, lorsque les oppositions
provinciales étaient si rudement contrastées et encore exagérées par
l'ignorance mutuelle : la brutalité provençale, capricieuse et violente
comme son climat ; l'âpreté gasconne du rude pays d'Armagnac, sans pitié,
sans cœur, faisant le mal pour en rire ; les durs et intraitables
montagnards du Rouergue et des Cévennes, les sauvages Bretons aux cheveux
pendants — race de silex et de caillou , — tout cela dans la saleté
primitive, baragouinant, maugréant dans vingt langues que ceux
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