Notre France, sa géographie, son histoire
société, la liberté, ont dompté la nature, l'histoire a effacé la géographie.
Dans cette transformation merveilleuse l'esprit a triomphé de la matière, le
général du particulier, et l'idée du réel. L'homme individuel est matérialiste,
il s'attache volontiers à l'intérêt local et privé ; la société humaine
est spiritualiste, elle tend à s'affranchir sans cesse des misères de
l'existence locale, à atteindre la haute et abstraite unité de la patrie.
Les époques barbares que nous avons parcourues ne nous ont présenté
presque rien que de local, de particulier, de matériel. L'homme tenait au sol,
il y était engagé, il semblait en faire partie. L'histoire, dans les temps
anciens, a regardé la terre, comme la race elle-même si puissamment influencée
par la terre. Mais peu à peu, la force propre qui est en l'homme l'a dégagé,
déraciné de cette terre. Il en est sorti, l'a repoussée, l'a foulée ; il
lui a fallu au lieu de son village natal, de sa ville, de sa province, une
grande patrie par laquelle il pût compter lui-même dans les destinées du monde.
C'est au moment où la France a supprimé dans son sein toutes les Frances
divergentes, qu'elle a donné sa haute et originale révélation. Elle s'est
trouvée elle-même, et, tout en proclamant le futur droit du monde, elle s'est
distinguée du monde, plus qu'elle n'avait fait jamais. Elle a fortifié son
individualité, acquérant toujours davantage des originalités plus puissantes et
plus fécondes. Elle est devenue de plus en plus une nation.
Gardons-nous bien de perdre cela. La nationalité, la patrie, c'est
toujours la vie du monde. Elle morte, tout serait mort. Si cela est vrai pour
les autres peuples, combien plus pour la France.
N'écoutez donc pas ceux qui disent : « Qu'est-ce que c'est
que la Patrie ? » Prosaïque commentaire de la poésie d'Horace :
« Rome s'écroule, fuyons aux îles fortunées. »
Nous ne sommes point des fils d'esclave, sans patrie, sans dieux,
comme l'était le grand poète que nous venons de citer ; nous ne sommes pas
des romains de Tarse, comme l'apôtre des gentils, nous sommes les romains de
Rome et les Français de la France. Nous sommes les fils de ceux qui, par
l'effet d'une nationalité héroïque, ont fait l'ouvrage du monde, et fondé, pour
toute nation, l'évangile de l'égalité. Nos pères n'ont pas compris la
fraternité comme cette vague sympathie qui fait accepter, aimer tout, qui mêle,
abâtardit, confond. Ils crurent que la fraternité n'était pas l'aveugle mélange
des existences et des caractères, mais bien l'union des cœurs. Ils gardèrent
pour eux, pour la France, l'originalité du dévouement, du sacrifice, que
personne ne lui disputa. L'occasion était belle pour les autres nations de ne
pas la laisser seule. Elles n'imitèrent pas la France dans son dévouement.
Pourquoi la France les imiterait-elle, aujourd'hui, dans leur égoïsme, leur
indifférence et en tant de choses regrettables ? La voie de l'imitation,
c'est tout simplement la voie du suicide et de la mort.
Ne croyez pas qu'on imite... On prend à un peuple voisin telle chose
qui chez lui est vivante ; on se l'approprie tant bien que mal, malgré les
répugnances d'un organisme qui n'était pas fait pour elle ; mais c'est un
corps étranger que vous vous mettez dans la chair ; c'est une chose inerte
et morte, c'est la mort que vous adoptez. Que dire, si cette chose n'est pas
étrangère seulement et différente, mais ennemie ! Si vous l'allez chercher
justement chez ceux que la nature vous a donné pour adversaires, qu'elle vous a
symétriquement opposés ? Si vous demandez un renouvellement de vie à ce
qui est la négation de votre vie propre ?
Quelles que soient les épreuves que notre nation ait traversées,
n'oublions pas que nous sommes les fils de la grande patrie, la France. Nous en
avons le droit.
Si l'on voulait entasser ce que chaque nation a dépensé de sang,
d'or, et d'efforts de toute sorte, pour les choses désintéressées qui ne
devaient profiter qu'au monde, la pyramide de la France irait montant jusqu'au
ciel... Et la vôtre, ô nations, toutes tant que vous êtes ici, ah ! la
vôtre, l'entassement de vos sacrifices, irait au genou d'un enfant.
C'est pour votre cause qu'elle a donné sans compter... Et n'ayant
plus rien, elle a dit : « Je n'ai ni or, ni argent, mais
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