Odyssée
sais ce qu'il faut entreprendre, et puisque tu ne dors pas, viens ; rendons-nous auprès des gardes, et sachons si, rompus de fatigue, ils dorment et oublient de veiller. Les guerriers ennemis ne sont pas éloignés, et nous ne savons s'ils ne méditent point de combattre cette nuit.
Et le cavalier Gérennien Nestôr lui répondit :
- Atréide Agamemnôn, très-illustre roi des hommes, le prudent Zeus n'accordera peut-être pas à Hektôr tout ce qu'il espère ; et je pense qu'il ressentira à son tour de cruelles douleurs si Akhilleus arrache de son coeur sa colère fatale. Mais je te suivrai volontiers, et nous appellerons les autres chefs : le Tydéide illustre par sa lance, et Odysseus, et l'agile Aias, et le robuste fils de Phyleus, et le divin Aias aussi, et le roi Idoméneus. Les nefs de ceux-ci sont très-éloignées. Cependant, je bl‚me hautement Ménélaos, bien que je l'aime et le vénère, et même quand tu t'en irriterais contre moi. Pourquoi dort-il et te laisset-il agir seul ? Il devrait lui-même exciter tous les chefs, car une inexorable nécessité nous assiège.
Et le Roi des hommes, Agamemnôn, lui répondit :
- ‘ vieillard, je t'ai parfois poussé à le bl‚mer, car il est souvent négligent et ne veut point agir, non qu'il manque d'intelligence ou d'activité, mais parce qu'il me regarde et attend que je lui donne l'exemple. Mais voici qu'il s'est levé avant moi et qu'il m'a rencontré. Et je l'ai envoyé appeler ceux que tu nommes. Allons ! nous les trouverons devant les portes, au milieu des gardes ; car c'est là que j'ai ordonné
qu'ils se réunissent.
Et le cavalier Gérennien Nestôr lui répondit :
- Nul d'entre les Argiens ne s'irritera contre lui et ne résistera à ses exhortations et à ses ordres.
Ayant ainsi parlé, il se couvrit la poitrine d'une tunique, attacha de belles sandales à ses pieds robustes, agrafa un manteau fait d'une double laine pourprée, saisit une forte lance à pointe d'airain et s'avança vers les nefs des Akhaiens cuirassés. Et le cavalier Gérennien Nestôr, parlant à
haute voix, éveilla Odysseus égal à Zeus en prudence ; et celui-ci, aussitôt qu'il eut entendu, sortit de sa tente et leur dit :
- Pourquoi errez-vous seuls auprès des nefs, à travers le camp, au milieu de la nuit divine ? quelle nécessité si grande vous y oblige ?
Et le cavalier Gérennien Nestôr lui répondit :
- Laertiade, issu de Zeus, subtil Odysseus, ne t'irrite pas. Une profonde inquiétude trouble les Akhaiens. Suisnous donc et éveillons chaque chef, afin de délibérer s'il faut fuir ou combattre.
Il parla ainsi, et le subtil Odysseus, étant rentré sous sa tente, jeta un bouclier éclatant sur ses épaules et revint à eux. Et ils se rendirent auprès du Tydéide Diomèdès, et ils le virent hors de sa tente avec ses armes. Et ses compagnons dormaient autour, le bouclier sous la tête. Leurs lances étaient plantées droites, et l'airain brillait comme l'éclair de Zeus. Et le héros dormait aussi, couché sur la peau d'un boeuf sauvage, un tapis splendide sous la tête. Et le cavalier Gérennien Nestôr, s'approchant, le poussa du pied et lui parla rudement :
- Lève-toi, fils de Tydeus ! Pourquoi dors-tu pendant cette nuit ?
N'entends-tu pas les Troiens, dans leur camp, sur la hauteur, non loin des nefs ? Peu d'espace nous sépare d'eux.
Il parla ainsi, et Diomèdès, sortant aussitôt de son repos, lui répondit par ces paroles ailées :
- Tu ne te ménages pas assez, vieillard. Les jeunes fils des Akhaiens ne peuvent-ils aller de tous côtés dans le camp éveiller chacun des Rois ?
Vieillard, tu es infatigable, en vérité.
Et le cavalier Gérennien Nestôr lui répondit :
- Certes, ami, tout ce que tu as dit est très-sage. J'ai des guerriers nombreux et des fils irréprochables. Un d'entre eux aurait pu parcourir le camp. Mais une dure nécessité assiège les Akhaiens ; la vie ou la mort des Argiens est sur le tranchant de l'épée. Viens donc, et, si tu me plains, car tu es plus jeune que moi, éveille l'agile Aias et le fils de Phyleus.
Il parla ainsi et Diomèdès, se couvrant les épaules de la peau d'un grand lion fauve, prit une lance, courut éveiller les deux Rois et les amena. Et bientôt ils arrivèrent tous au milieu des gardes, dont les chefs ne dormaient point et veillaient en armes, avec vigilance. Comme des chiens qui gardent activement des brebis dans l'étable, et qui, entendant une bête féroce sortie des bois sur les
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