Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.
horreurs d'un assaut, il manifestait à la dérobée la douleur dont il était pénétré ; il faisait connaître par des signes qu'il gémissait sous l'oppression ainsi que tous les honnêtes gens de Madrid, et lorsqu'il élevait la voix, ses paroles étaient dictées par les misérables qui le surveillaient.
On ne put avoir aucun doute de l'excès auquel était portée la tyrannie de la multitude, lorsqu'on le vit dresser procès-verbal de ses propres discours, et les faire attester par la signature des spadassins qui l'environnaient.
L'aide-de-camp du duc d'Istrie, qui avait été envoyé dans la ville, saisi par des hommes de la dernière classe du peuple, allait être massacré, lorsque les troupes de ligne indignées le prirent sous leur sauve-garde et le firent remettre à son général.
Un garçon boucher de l'Estramadure, qui commandait une des portes, osa demander que le duc d'Istrie vint lui-même dans la ville les yeux bandés ; le général Montbrun repoussa cette audace avec indignation ; il fut aussitôt entouré, et il n'échappa qu'en tirant son sabre. Il faillit être victime de l'imprudence avec laquelle il avait oublié qu'il n'avait point affaire avec des ennemis civilisés.
Peu de temps après des déserteurs des gardes wallonnes se rendirent au camp. Leurs dépositions donnèrent la conviction que les propriétaires, les honnêtes gens étaient sans influence, et l'on dut croire que toute conciliation était impossible.
La veille, le marquis de Perales, homme respectable qui avait paru jouir jusqu'alors de la confiance du peuple, fut accusé d'avoir fait mettre du sable dans les cartouches. Il fut aussitôt étranglé, et ses membres déchirés furent envoyés comme des trophées dans les quartiers de la ville. On arrêta que toutes les cartouches seraient refaites, et trois ou quatre mille moines furent conduits au Retiro et employés à ce travail. Il avait été ordonné que tous les palais, toutes les maisons seraient constamment ouvertes aux paysans des environs, qui devaient y trouver de la soupe et des alimens à discrétion.
L'infanterie française était encore à trois lieues de Madrid.
L'empereur employa la soirée à reconnaître la ville et à arrêter un plan d'attaque qui se conciliait avec les ménagemens que méritent le grand nombre d'hommes honnêtes qui se trouvent toujours dans une grande capitale.
Prendre Madrid d'assaut pouvait être une opération militaire de peu de difficulté ; mais amener cette grande ville se soumettre en employant tour à tour la force et la persuasion et en arrachant les propriétaires et les véritables hommes de bien à l'oppression sous laquelle ils gémissaient, c'est là ce qui était difficile. Tous les efforts de l'empereur dans ces deux journées n'eurent pas d'autre but ; ils ont été couronnés du plus grand succès.
A sept heures, la division Lapisse, du corps du maréchal duc de Bellune, arriva. La lune donnait une clarté qui semblait prolonger celle du jour. L'empereur ordonna au général de brigade Maison de s'emparer des faubourgs, et chargea le général de division Lauriston de protéger cette occupation par le feu de quatre pièces d'artillerie de la garde. Les voltigeurs du seizième s'emparèrent des maisons et notamment d'un grand cimetière. Au premier feu l'ennemi montra autant de lâcheté qu'il avait montré d'arrogance pendant toute la journée. Le duc de Bellune employa toute la nuit à placer son artillerie dans les lieux désignés pour l'attaque.
A minuit, le prince de Neufchâtel envoya à Madrid un lieutenant-colonel d'artillerie espagnole qui avait été pris à Somo-Sierra et qui voyait avec effroi la folle obstination de ses concitoyens. Il se chargea de la lettre ci-jointe (nº 1).
Le 3, à neuf heures du matin, le même parlementaire revint au quartier-général avec la lettre ci-jointe (nº 2).
Mais déjà le général de brigade d'artillerie Sénarmont, officier d'un grand mérite, avait placé ses trente pièces d'artillerie et avait commencé un feu très-vif qui avait fait brèche aux murs du Retiro.
Des voltigeurs de la division Villatte ayant passé la brèche, leur bataillon les suivit, et en moins d'une heure, quatre mille hommes qui défendaient le Retiro furent culbutés. Le palais du Retiro, les postes importans de l'observatoire, de la manufacture de porcelaine, de la grande caserne et de l'hôtel de Medina-Celi et tous les débouchés qui avaient été mis en défense furent emportés
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