Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.
passer sur les vaisseaux anglais, et être obligé de la précipiter du haut des rochers d'Espinosa, que de la désarmer ; j'ai préféré avoir sept mille ennemis de plus à combattre, que de manquer à la bonne foi et à l'honneur. Retournez à Madrid. Je vous donne jusqu'à demain à six heures du matin. Revenez alors, si vous n'avez à me parler du peuple que pour m'apprendre qu'il s'est soumis. Sinon vous et vos troupes, vous serez tous passés par les armes.»
Le 4 à six heures du matin, le général Morla et le général don Fernando de la Vera, gouverneur de la ville, se présentèrent à la tente du prince major-général.
Les discours de l'empereur, répétés au milieu des notables, la certitude qu'il commandait en personne ; les pertes éprouvées pendant la journée précédente avaient porté le repentir et la douleur dans tous les esprits ; pendant la nuit, les plus mutins s'étaient soustraits au danger par la fuite, et une partie des troupes s'était débandée.
A dix heures, le général Belliard prit le commandement de Madrid, tous les postes furent remis aux Français, et un pardon général fut proclamé.
A dater de ce moment, les hommes, les femmes, les enfans se répandirent dans les rues avec sécurité. Jusqu'à onze heures du soir les boutiques furent ouvertes. Tous les citoyens se mirent à détruire les barricades et à repaver les rues ; les moines rentrèrent dans leurs couvens, et en peu d'heures Madrid présenta le contraste le plus extraordinaire ; contraste inexplicable pour qui ne connaît pas les moeurs des grandes villes. Tant d'hommes qui ne pouvaient se dissimuler à eux-mêmes ce qu'ils auraient fait dans pareille circonstance, s'étonnent de la générosité des Français. Cinquante mille armes ont été rendues, et cent pièces de canon sont remises au Retiro. Au reste les angoisses dans lesquelles les habitans de cette malheureuse ville ont vécu depuis quatre mois, ne peuvent se dépeindre. La junte était sans puissance ; les hommes les plus ignorans et les plus forcenés exerçaient le pouvoir, et le peuple, à chaque instant, massacrait ou menaçait de la potence ses magistrats et ses généraux. Le général de brigade Maison a été blessé. Le général Bruyère, qui s'était avancé imprudemment dans le moment où l'on avait cessé le feu, a été tué. Douze soldats ont été tués, cinquante ont été blessés.
Cette perte faible pour un événement aussi mémorable, est due au peu de troupes qu'on a engagées ; on la doit aussi, il faut le dire, à l'extrême lâcheté de tout ce qui avait les armes à la main.
L'artillerie a, à son ordinaire, rendu les plus grands services.
Dix mille fuyards échappés de Burgos et de Somo-Sierra, et la deuxième division de l'armée de réserve se trouvaient, le 3, à trois lieues de Madrid ; mais chargés par un piquet de dragons, ils se sont sauvés en abandonnant quarante pièces de canon et soixante caissons.
Un trait mérite d'être cité :
Un vieux général retiré du service et âgé de quatre-vingts ans, était dans sa maison à Madrid, près de la rue d'Alcala. Un officier français s'y loge avec sa troupe. Ce respectable vieillard paraît devant cet officier, tenant une jeune fille par la main et dit : Je suis un vieux soldat, voilà ma fille : je lui donne neuf cent mille livres de dot ; sauvez lui l'honneur et soyez son époux. Le jeune officier prend le vieillard, sa famille et sa maison sous sa protection. Qu'ils sont coupables ceux qui exposent tant de citoyens paisibles, tant d'infortunés habitans d'une grande capitale à tant de malheurs !
Le duc de Dantzick est arrivé le 3 à Ségovie. Le duc d'Istrie, avec quatre mille hommes de cavalerie, s'est mis à la poursuite de la division Pennas, qui s'étant échappée de la bataille de Tudela, s'était dirigée sur Guadalaxara.
Florida Blanca et la junte s'étaient enfuis d'Aranjuez et s'étaient sauvés à Tolède ; ils ne se sont pas crus en sûreté dans cette ville, et se sont réfugiés auprès des Anglais.
La conduite des Anglais est honteuse.
Dès le 20, ils étaient à l'Escurial au nombre de six mille, ils y ont passé quelques jours. Ils ne prétendaient pas moins que franchir les Pyrénées et venir sur la Garonne. Leurs troupes sont superbes et bien disciplinées. La confiance qu'elles avaient inspirée aux Espagnols est inconcevable ; les uns espéraient que cette division irait à Somo-Sierra, les autres qu'elle viendrait
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