Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome IV.
de deux cents pièces de canon, pour culbuter l'armée française. Ces efforts tournèrent à sa honte ; il attaqua trois fois les villages d'Esling et de Gross-Aspern, et trois fois il les remplit de ses morts. Les fusiliers de la garde, commandés par le général Mouton, se couvrirent de gloire, et culbutèrent la réserve, composée de tous les grenadiers de l'armée autrichienne, les seules troupes fraîches qui restassent à l'ennemi. Le général Gros fit passer au fil de l'épée sept cents Hongrois qui s'étaient déjà logés dans le cimetière du village d'Ësling. Les tirailleurs sous les ordres du général Curial firent leurs premières armes dans cette journée, et montrèrent de la vigueur. Le général Dorsenne, colonel commandant la vieille garde, la plaça en troisième ligne, formant un mur d'airain, seul capable d'arrêter tous les efforts de l'armée autrichienne. L'ennemi tira quarante mille coups de canon, tandis que, privés de nos parcs de réserve, nous étions dans la nécessité de ménager nos munitions pour quelques circonstances imprévues.
Le soir, l'ennemi reprit les anciennes positions qu'il avait quittées pour l'attaque, et nous restâmes maîtres du champ de bataille.
Sa perte est immense ; les militaires dont le coup d'oeil est le plus exercé ont évalué à plus de douze mille les morts qu'il a laissés sur le champ de bataille. Selon le rapport des prisonniers, il a eu vingt-trois généraux et soixante officiers supérieurs tués ou blessés. Le feld-maréchal-lieutenant Weber, quinze cents hommes et quatre drapeaux sont restés en notre pouvoir. La perte de notre côté a été considérable ; nous avons eu onze cents tués et trois mille blessés. Le duc de Montebello a eu la cuisse emportée par un boulet, le 22, sur les six heures du soir. L'amputation a été faite, et sa vie est hors de danger. Au premier moment on le crut mort. Transporté sur un brancard auprès de l'empereur, ses adieux furent touchans. Au milieu des sollicitudes de cette journée, l'empereur se livra à la tendre amitié qu'il porte depuis tant d'années à ce brave compagnon d'armes. Quelques larmes coulèrent de ses yeux, et se tournant vers ceux qui l'environnaient : «Il fallait, dit-il, que dans cette journée mon coeur fût frappé par un coup aussi sensible, pour que je pusse m'abandonner à d'autres soins qu'à ceux de mon armée.» Le duc de Montebello avait perdu connaissance ; la présence de l'empereur le fit revenir ; il se jeta à son cou en lui disant : «Dans une heure vous aurez perdu celui qui meurt avec la gloire et la conviction d'avoir été et d'être votre meilleur ami.»
Le général de division Saint-Hilaire a été blessé ; c'est un des généraux les plus distingués de la France.
Le général Durosnel, aide-de-camp de l'empereur, a été enlevé par un boulet en portant un ordre.
Le soldat a montré un sang-froid et une intrépidité qui n'appartiennent qu'à des Français.
Les eaux du Danube croissant toujours, les ponts n'ont pu être rétablis pendant la nuit.
L'empereur a fait repasser le 23, à l'armée le petit bras de la rive gauche, et a fait prendre position dans l'île de In-der-Lobau, en gardant les têtes de pont.
On travaille à rétablir les ponts ; l'on n'entreprendra rien qu'ils ne soient à l'abri des accidens des eaux, et même de tout ce que l'on pourrait tenter contre eux : l'élévation du fleuve et la rapidité du courant obligent à des travaux considérables et à de grandes précautions.
Lorsque le 23, au matin, on fit connaître à l'armée que l'empereur avait ordonné qu'elle repassât dans la grande île, l'étonnement de ces braves fut extrême. Vainqueurs dans les deux journées, ils croyaient que le reste de l'armée allait les rejoindre ; et quand on leur dit que les grandes eaux ayant rompu les ponts et augmentant sans cesse, rendaient le renouvellement des munitions et des vivres impossible, et que tout mouvement en avant serait insensé, on eut de la peine à les persuader.
C'est un malheur très-grand et tout à fait imprévu que des ponts formés des plus grands bateaux du Danube, amarrés par de doubles ancres et par des cinquenelles, aient été enlevés ; mais c'est un grand bonheur que l'empereur ne l'ait pas appris deux heures plus tard ; l'armée poursuivant l'ennemi aurait épuisé ses munitions, et se serait trouvée sans moyen de les renouveler.
Le 23, on a fait passer une grande quantité de vivres au camp
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