Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V.
trois à quatre cents brigands ont mis le feu dans la ville en cinq cents endroits à la fois, par l'ordre du gouverneur Rostopchin. Les cinq sixièmes des maisons sont en bois : le feu a pris avec une prodigieuse rapidité ; c'était un océan de flammes. Des églises, il y en avait seize cents ; des palais, plus de mille ; d'immenses magasins : presque tout a été consumé. On a préservé le Kremlin.
Cette perte est incalculable pour la Russie, pour son commerce, pour sa noblesse qui y avait tout laissé. Ce n'est pas l'évaluer trop haut que de la porter à plusieurs milliards.
On a arrêté et fusillé une centaine de ces chauffeurs ; tous ont déclaré qu'ils avaient agi par les ordres du gouverneur Rostopchin, et du directeur de la police.
Trente mille blessés et malades russes ont été brûlés. Les plus riches maisons de commerce de la Russie se trouvent ruinées : la secousse doit être considérable ; les effets d'habillement, magasins et fournitures de l'armée russe ont été brûlés ; elle y a tout perdu. On n'avait rien voulu évacuer, parce qu'on a toujours voulu penser qu'il était impossible d'arriver à Moscou, et qu'on a voulu tromper le peuple. Lorsqu'on a tout vu dans la main des Français, on a conçu l'horrible projet de brûler cette première capitale, cette ville sainte, centre de l'empire, et l'on a réduit deux cent mille bons habitans à la mendicité. C'est le crime de Rostopchin, exécuté par des scélérats délivrés des prisons.
Les ressources que l'armée trouvait, sont par-là fort diminuées ; cependant l'on a ramassé, et l'on ramasse beaucoup de choses. Toutes les caves sont à l'abri du feu, et les habitans, dans les vingt-quatre dernières heures, avaient enfoui beaucoup d'objets. On a lutté contre le feu ; mais le gouverneur avait eu l'affreuse précaution d'emmener ou de faire briser toutes les pompes.
L'armée se remet de ses fatigues ; elle a en abondance du pain, des pommes de terre, des choux, des légumes, des viandes, des salaisons, du vin, de l'eau-de-vie, du sucre, du café, enfin des provisions de toute espèce.
L'avant-garde est à vingt werstes sur la route de Kasan, par laquelle se retire l'ennemi. Une autre avant-garde française est sur la route de Saint-Pétersbourg où l'ennemi n'a personne.
La température est encore celle de l'automne : le soldat a trouvé et trouve beaucoup de pelisses et des fourrures pour l'hiver.
Moscou en est le magasin.
Moscou, 20 septembre 1812.
Vingt-unième bulletin de la grande armée.
Trois cents chauffeurs ont été arrêtés et fusillés. Ils étaient armés d'une fusée de six pouces, contenue entre deux morceaux de bois ; ils avaient aussi des artifices qu'ils jetaient sur les toits. Ce misérable Rostopchin avait fait confectionner ces artifices en faisant croire aux habitans qu'il voulait faire un ballon qu'il lancerait, plein de matières incendiaires, sur l'armée française. Il réunissait, sous ce prétexte, les artifices et autres objets nécessaires à l'exécution de son projet.
Dans la journée du 19 et dans celle du 20, les incendies ont cessé. Les trois quarts de la ville sont brûlés, entre autres le beau palais de Catherine, meublé à neuf. Il reste au plus le quart des maisons.
Pendant que Rostopchin enlevait les pompes de la ville, il laissait soixante mille fusils, cent cinquante pièces de canon, plus de cent mille boulets et bombes, quinze cent mille cartouches, quatre cent milliers de poudre, quatre cent milliers de salpêtre et de soufre. Ce n'est que le 19 qu'on a découvert les quatre cent milliers de salpêtre et de soufre, dans un bel établissement situé à une demi-lieue de la ville ; cela est important. Nous voilà approvisionnés pour deux campagnes.
On trouve tous les jours des caves pleines de vin et d'eau-de-vie.
Les manufactures commençaient à fleurir à Moscou ; elles sont détruites. L'incendie de cette capitale retarde la Russie de cent ans.
Le temps paraît tourner à la pluie. La plus grande partie de l'armée est casernée dans Moscou.
Moscou, 27 septembre 1812.
Vingt-deuxième bulletin de la grande armée.
Le consul général Lesseps a été nommé intendant de la province de Moscou. Il a organisé une municipalité et plusieurs commissions, toutes composées de gens du pays.
Les incendies ont entièrement cessé. On découvre tous les jours des magasins de sucre, de pelleteries, de draps, etc.
L'armée ennemie paraît se retirer sur Kalouga et Toula.
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