Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V.
lieues de Moscou, au pont de la Moskwa. Pendant ce temps, l'armée russe quitta la route de Kolomna et prit celle de Kalouga par la traverse. Elle fit ainsi la moitié du tour de la ville, à six lieues de distance. Le vent y portait des tourbillons de flammes et de fumée. Cette marche, au dire des officiers russes, était sombre et religieuse. La consternation était dans les âmes : on assure qu'officiers et soldats étaient si pénétrés, que le plus profond silence régnait dans toute l'armée comme dans la prière.
On s'aperçut bientôt de la marche de l'ennemi.
Le duc d'Istrie se porta à Desna avec un corps d'observation.
Le roi de Naples suivit l'ennemi d'abord sur Podol, et ensuite se porta sur ses derrières, menaçant de lui couper la route de Kalouga. Quoique le roi n'eût avec lui que l'avant-garde, l'ennemi ne se donna que le temps d'évacuer les retranchemens qu'il avait faits, et se porta six lieues en arrière, après un combat glorieux pour l'avant-garde. Le prince Poniatowski prit position derrière la Nara, au confluent de l'Istia.
Le général Lauriston ayant dû aller au quartier-général russe le 5 octobre, les communications se rétablirent entre nos avant-postes et ceux de l'ennemi, qui convinrent entre eux de ne pas s'attaquer sans se prévenir trois heures d'avance ; mais le 18, à sept heures du matin, quatre mille cosaques sortirent d'un bois situé à demi-portée de canon du général Sébastiani, formant l'extrême gauche de l'avant-garde, qui n'avait été ni occupé ni éclairé ce jour-là. Ils firent un houra sur cette cavalerie légère dans le temps qu'elle était à pied à la distribution de farine. Cette cavalerie légère ne put se former qu'à un quart de lieue plus loin. Cependant l'ennemi pénétrant par cette trouée, un parc de douze pièces de canon et de vingt caissons du général Sébastiani fut pris dans un ravin, avec des voitures de bagages, au nombre de trente ; en tout soixante-cinq voitures, au lieu de cent que l'on avait portées dans le dernier bulletin.
Dans le même temps, la cavalerie régulière de l'ennemi et deux colonnes d'infanterie pénétraient dans la trouée. Elles espéraient gagner le bois et le défilé de Voconosvo avant nous ; mais le roi de Naples était là : il était à cheval.
Il marcha, et enfonça la cavalerie de ligne russe dans dix ou douze charges différentes. Il aperçut la division de six bataillons ennemis commandée par le lieutenant-général Muller, la chargea et l'enfonça. Cette division a été massacrée. Le lieutenant-général Muller a été tué.
Pendant que ceci se passait, le prince Poniatowski repoussait une division russe avec succès. Le général polonais Fischer a été tué d'un boulet.
L'ennemi a non-seulement éprouvé une perte supérieure à la nôtre ; mais il a la honte d'avoir violé une trêve d'avant-garde, ce qu'on ne vit presque jamais. Notre perte se monte à huit cents hommes tués, blessés ou pris ; celle de l'ennemi est double. Plusieurs officiers russes ont été pris : deux de leurs généraux ont été tués. Le roi de Naples, dans cette journée, a montré ce que peuvent la présence d'esprit, la valeur et l'habitude de la guerre. En général, dans toute la campagne, ce prince s'est montré digne du rang suprême où il est.
Cependant, l'empereur voulant obliger l'ennemi à évacuer son camp retranché, et le rejeter à plusieurs marches en arrière, pour pouvoir tranquillement se porter sur les pays choisis pour ses quartiers-d'hiver, et nécessaires à occuper actuellement pour l'exécution de ses projets ultérieurs, avait ordonné, le 17, par le général Lauriston, à son avant-garde, de se placer derrière le défilé de Winkowo, afin que ses mouvemens ne pussent pas être aperçus. Depuis que Moscou avait cessé d'exister, l'empereur avait projeté ou d'abandonner cet amas de décombres, ou d'occuper seulement le Kremlin avec trois mille hommes ; mais le Kremlin, après quinze jours de travaux, ne fut pas jugé assez fort pour être abandonné vingt ou trente jours à ses propres forces ; il aurait affaibli et gêné l'armée dans ses mouvemens, sans donner un grand avantage.
Si l'on eût voulu garder Moscou contre les mendians et les pillards, il fallait vingt mille hommes. Moscou est aujourd'hui un vrai cloaque malsain et impur. Une population de deux cent mille âmes, errant dans les bois voisins, mourant de faim, vient sur ses décombres chercher quelques débris
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