Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V.
Ce village était resté au pouvoir de l'ennemi : le comte de Lobau dirigea le général Ricard pour reprendre le village ; il fut repris.
La bataille embrassait une ligne de deux lieues couvertes de feu, de fumée et de tourbillons de poussière. Le prince de la Moskwa, le général Souham, le général Girard, étaient partout, faisaient face à tout. Blessé de plusieurs balles, le général Girard voulut rester sur le champ de bataille. Il déclara vouloir mourir en commandant et dirigeant ses troupes, puisque le moment était arrivé pour tous les Français qui avaient du coeur, de vaincre ou de mourir.
Cependant, on commençait à apercevoir dans le lointain la poussière et les premiers feux du corps du général Bertrand. Au même moment le vice-roi entrait en ligne sur la gauche, et le duc de Tarente attaquait la réserve de l'ennemi, et abordait au village où l'ennemi appuyait sa droite. Dans ce moment, l'ennemi redoubla ses efforts sur le centre ; le village de Kaïa fut emporté de nouveau ; notre centre fléchit ; quelques bataillons se débandèrent ; mais cette valeureuse jeunesse, à la vue de l'empereur, se rallia en criant vive l'empereur ! S. M. jugea que le moment de crise qui décide du gain ou de la perte des batailles était arrivé : il n'y avait plus un moment à perdre. L'empereur ordonna au duc de Trévise de se porter avec seize bataillons de la jeune garde au village de Kaia, de donner tête baissée, de culbuter l'ennemi, de reprendre le village et de faire main basse sur tout ce qui s'y trouvait. Au même moment, S. M. ordonna à son aide-de-camp le général Drouot, officier d'artillerie de la plus grande distinction, de réunir une batterie de quatre-vingts pièces, et de la placer en avant de la vieille garde, qui fut disposée en échelons comme quatre redoutes, pour soutenir le centre, toute notre cavalerie rangée en bataille derrière.
Les généraux Dulauloy, Drouot et Devaux partirent au galop avec leurs quatre-vingts bouches à feu placées en un même groupe. Le feu devint épouvantable. L'ennemi fléchit de tous côtés. Le duc de Trévise emporta sans coup férir le village de Kaia, culbuta l'ennemi et continua à se porter en avant en battant la charge. Cavalerie, infanterie, artillerie de l'ennemi, tout se mit en retraite.
Le général Bonnet, commandant une division du duc de Raguse, reçut ordre de faire un mouvement par sa gauche sur Kaïa, pour appuyer les succès du centre. Il soutint plusieurs charges de cavalerie dans lesquelles l'ennemi éprouva de grandes pertes.
Cependant le général comte Bertrand s'avançait et entrait en ligne. C'est en vain que la cavalerie ennemie caracola autour de ses carrés ; sa marche n'en fut pas ralentie. Pour le rejoindre plus promptement, l'empereur ordonna un changement de direction en pivotant sur Kaïa. Toute la droite fit un changement de front, la droite en avant.
L'ennemi ne fit plus que fuir ; nous le poursuivîmes une lieue et demie. Nous arrivâmes bientôt sur la hauteur que l'empereur Alexandre, le roi de Prusse et la famille de Brandebourg occupaient pendant la bataille. Un officier prisonnier qui se trouvait là, nous apprit cette circonstance.
Nous avons fait plusieurs milliers de prisonniers. Le nombre n'en a pu être considérable, vu l'infériorité de notre cavalerie et le désir que l'empereur avait montré de l'épargner.
Au commencement de la bataille, l'empereur avait dit aux troupes : C'est une bataille d'Égypte.
Une bonne infanterie doit savoir se suffire.
Le général Gouré, chef d'état-major du prince de la Moskwa a été tué, mort digne d'un si bon soldat ! Notre perte se monte à dix mille hommes tués ou blessés ; celle de l'ennemi peut être évaluée de vingt-cinq à trente mille hommes. La garde royale de Prusse a été détruite. Les gardes de l'empereur de Russie ont considérablement souffert ; les deux divisions de dix régimens de cuirassiers russes ont été écrasées.
S. M. ne saurait trop faire l'éloge de la bonne volonté, du courage et de l'intrépidité de l'armée. Nos jeunes soldats ne considéraient pas le danger. Ils ont dans cette circonstance relevé toute la noblesse du sang français.
L'état-major-général, dans sa relation, fera connaître les belles actions qui ont illustré cette brillante journée, qui, comme un coup de tonnerre, a pulvérisé les chimériques espérances et tous les calculs de destruction et de démembrement de l'empire. Les trames
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