Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
logique,
profondément idéaliste, il était si possédé par ses convictions qu’il se
montrait disposé à atteler le mal au char du bien. Stratège aux vues étendues,
géographe, ce pince-sans-rire pétri d’autorité naturelle prenait autant de
plaisir à duper l’ennemi (ou ses amis) par une peu scrupuleuse plaisanterie
qu’à fracasser un à un, à l’aide de son casse-tête africain, les crânes d’une
bande d’Allemands acculés. Ses instincts étaient étayés par une formidable
force physique et une âme féroce que rien n’entravait, ni doutes, ni préjugés,
ni usages ou règles du jeu. » [1]
En 1917, l’armée britannique, sous le commandement du
général Sir Edmund Allenby, affronta à deux reprises les Turcs à Gaza,
mais elle se vit barrer la route vers Jérusalem par un ennemi puissant. Allenby
décida que la prochaine offensive se produirait à Beersheba, dans l’Est, en
espérant tromper les Turcs qui devaient s’attendre à une autre attaque sur Gaza
(la cible la plus logique). L’officier du renseignement d’Allenby qui était
chargé de la désinformation n’était autre que le major Richard Meinertzhagen.
Pour qu’une opération de désinformation réussisse, il
fallait non seulement dissimuler ses agissements, mais il fallait aussi
persuader l’adversaire que ce que vous laissiez voir était l’inverse de ce que
vous faisiez vraiment. Après avoir fourré des faux documents, des lettres
personnelles, un journal intime et la somme de vingt livres dans une
musette, Meinertzhagen barbouilla cette dernière de sang de cheval. Ensuite, il
s’enfonça dans le no man’s land, jusqu’à ce qu’une patrouille turque à
cheval lui tire dessus. S’avachissant sur sa selle comme s’il était blessé, il
laissa tomber sa besace, ses jumelles et son arme et retourna en galopant
jusqu’aux lignes britanniques. L’une des lettres (écrite par la sœur de
Meinertzhagen, Mary) était censée provenir de la femme du propriétaire de la
besace pour lui rapporter la naissance de leur fils. C’était du pur mélo
édouardien : « Au revoir, mon amour ! L’infirmière ne veut pas
que je me fatigue… Bébé envoie un baiser à son Papa ! »
Ensuite, Meinertzhagen lança une opération visant à faire
croire que des recherches acharnées étaient menées pour retrouver le sac. Un
sandwich, enveloppé dans un quotidien faisant référence aux documents
manquants, fut placé près des lignes ennemies, comme jeté par une patrouille
étourdie. Meinertzhagen comparut devant une commission d’enquête (fictive) pour
fournir des explications sur la besace perdue.
Comme prévu, les Turcs concentrèrent leurs troupes à Gaza et
redéployèrent deux divisions loin de Beersheba. Le 31 octobre 1917,
les Britanniques lancèrent une nouvelle offensive et franchirent les rangs
turcs clairsemés à Beersheba. En décembre, ils avaient pris Jérusalem.
Meinertzhagen exultait en racontant que sa ruse de la besace avait été
« facile, fiable et bon marché ». Mais la victoire pouvait aussi être
attribuée à un autre stratagème retors de Meinertzhagen : le largage de
centaines de cigarettes mêlées d’opium derrière les lignes turques. Quelques
historiens ont argumenté que la ruse de la besace n’avait pas rencontré autant
de succès que l’affirmait Meinertzhagen. Il est probable que nul ne saura
jamais si les Turcs avaient bien été bernés ou s’ils étaient complètement
drogués.
La ruse a été modernisée et réemployée au début de la
Seconde Guerre mondiale. Avant la bataille d’Alam Halfa, en 1942, un cadavre
serrant entre ses doigts une carte qui montrait un itinéraire « sûr »
à travers le désert avait été placé dans un véhicule de reconnaissance calciné
dans l’espoir que les chars de Rommel suivent la carte et s’enlisent dans des
sables mouvants. Dans une autre variation sur ce thème, un faux plan de défense
de Chypre avait été confié, au Caire, à une femme que l’on savait être en
contact avec des espions de l’Axe. Mais la variante la plus récente avait été
échafaudée, avec une symétrie parfaite, par Peter Fleming, le frère aîné d’Ian
Fleming, alors officier du renseignement, sous les ordres du général Archibald
Wavell, commandant suprême allié en Extrême-Orient. Peter, qui partageait
l’imagination fertile de son frère et qui était déjà un écrivain à succès,
concocta sa version personnelle de la ruse de la
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