Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale

choisir un autre nom. Alors que nous échangions
des noms, l’un de nous deux inventa “tennis de table”. » Ivor fonda la
Fédération internationale de tennis de table en 1926 et en fut le premier
président, poste qu’il occupa pendant quarante et un ans.
    Les frères Montagu sont aussi à l’origine de la création de
la « Ligue des mangeurs de fromage » à Cambridge. Ivor et Ewen
partageaient une passion commune pour le fromage et fondèrent un club de
dégustation pour pouvoir importer et goûter des spécimens exotiques provenant
du monde entier : fromage au lait de chamelle, fromage de chèvre du
Moyen-Orient, fromage fabriqué à partir de lait de brebis afghane à longues
cornes. « Nous avions pour ambition de nous procurer du fromage au lait de
baleine », écrivit Ewen. À cette fin, il contacta une société baleinière
afin de s’assurer que « si une baleine allaitante était tuée, son lait
serait transformé en fromage qui nous serait envoyé ».
    Montagu sut profiter des moments privilégiés qu’il passa à
Cambridge, mais il affûtait déjà les muscles intellectuels qui le
maintiendraient d’aplomb en tant qu’avocat, d’abord, puis en tant qu’officier
du renseignement, ensuite, notamment sa capacité à « travailler
intensément malgré le manque ou l’absence de sommeil pendant une courte
période ». Il avait aussi une bonne résistance physique. Une fois, alors qu’il
chassait à courre, son pied glissa de son étrier qui bondit dans les airs
lorsque le cheval fit un écart, le coupant profondément au menton et lui
arrachant cinq dents. Un autre chasseur ramassa l’une des dents d’Ewen.
« Je l’ai mise dans ma poche et j’ai continué », se souvient Ewen.
L’accident lui laissa un sourire de travers, dont il jouait avec charme, mais
parcimonie, et un rebord utile où poser sa pipe.
    Alors qu’il était encore à l’université, Ewen se fiança à
Iris Solomon. Par bien des aspects, ils allaient très bien ensemble. Iris était
la fille de Solomon J. Solomon, le portraitiste. Elle était vive,
intelligente et de souche anglo-juive. Ils se marièrent en 1923. Un fils arriva
bientôt, suivi d’une fille.
    Pendant les années 1920 et 1930, le jeune avocat et sa
femme vécurent l’existence dorée de l’entre-deux-guerres. Ils côtoyèrent les
personnes influentes du pays ; en fin de semaine, ils se retiraient à
Townhill, la propriété des Montagu près de Southampton, où vingt-cinq
jardiniers entretenaient des jardins magnifiques dessinés par Gertrude Jekyll.
Ils y tiraient le faisan, chassaient et jouaient au tennis de table. L’été, ils
naviguaient sur le voilier de quarante-cinq pieds d’Ewen sur la Solent ;
l’hiver, ils skiaient en Suisse.
    Mais surtout, Ewen (comme son futur chef, l’amiral Godfrey)
adorait pêcher en rivière et dans les bassins à saumon de Townhill. Plus tard,
on le décrira comme « l’un des meilleurs pêcheurs à la mouche du
royaume », même s’il le niait en toute modestie, insistant sur le fait
qu’il n’était « guère plus qu’un pêcheur médiocre mais
enthousiaste ». Pour Montagu, que ce soit au bord de la rivière, au
tribunal, et bientôt, à la guerre, il n’y avait pas d’expérience plus
satisfaisante que « le frisson de la prise et le plaisir du jeu avec le
poisson ».
    Entre-temps, Ivor Montagu poursuivait une autre carrière. À
vingt-deux ans, il avait fondé l’Association britannique de tennis de table,
écrit un ouvrage intitulé Table Tennis Today (« Le Tennis de table
aujourd’hui ») , créé la Société cinématographique (avec Sidney
Bernstein) et participé à deux expéditions en Union soviétique, où il
perfectionna son russe et se mit en quête d’un « campagnol excessivement
primitif » que l’on trouvait uniquement dans le Caucase. L’expérience aboutit
à une monographie zoologique sur Prometheomys , la
« souris-Prométhée », et une foi inébranlable en la machine d’État
soviétique. En 1927, il épousa Frances Hellstern, mieux connue sous le surnom
« Hell » (ou l’enfer, et considérée comme telle par sa belle-mère),
fille-mère et fille d’un bottier du Sud de Londres. Le mariage fit les gros
titres des tabloïd : « Le fils du baron épouse la secrétaire ».
La Reine Mary écrivit à Lady Swaythling : « Chère Gladys, je
compatis. May. » Ivor s’en fichait éperdument.
    En 1929, Ivor rencontra le réalisateur soviétique