Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
de
Ludwig Clauss, le vieux consul allemand à Huelva.
À 20 heures 30 ce soir-là, Francis Haselden envoya
un câble à l’assistant de l’attaché naval Don Gómez-Beare à Madrid :
« En référence à mon message téléphonique de ce jour, le corps a été
identifié comme étant celui du major W. Martin R. M. carte d’identité
148228 daté du 2 fév. 1943, à Cardiff. Le juge de la marine a pris
possession de tous les papiers. Mort par noyade, probablement 8 à 10 jours
en mer. L’inhumation aura lieu dimanche midi. »
Normalement, dans de telles circonstances, l’attaché naval
aurait dû envoyer un message à l’Amirauté à Londres, en mentionnant le nom et
le grade du mort. Comme cet officier des Royal Marines n’existait pas, si le
câble était acheminé par les voies habituelles, quelqu’un à Londres aurait pu
se rendre compte de l’anomalie. Hillgarth avait prévu qu’immédiatement avant
d’envoyer le télégramme signalant le décès du major Martin, il enverrait un
autre message codé, à l’attention de « C » au MI6, « pour
prendre des mesures pour le supprimer ». Le plan n’a pas fonctionné. Le
message envoyé à « C » arriva comme prévu, mais le temps que le MI6
réagisse, le télégramme de Hillgarth avait déjà commencé à être distribué dans
divers services de l’Amirauté : l’un d’eux aurait très bien pu conserver
les noms des officiers des Royal Marines et commencer à mener des enquêtes
embarrassantes. Un déluge de coups de téléphone fut passé aux chefs de service
qui avaient reçu le message ordonnant « la suppression du télégramme
arguant que l’individu en question n’était pas un officier de la Navy, mais,
par autorité du First Sea Lord, il avait reçu ce titre chez les Royal Marines
au moment de partir à l’étranger pour une mission secrète et très spéciale…
Pour assurer le secret de la mission, il fallait que le télégramme soit détruit
et qu’aucune action ne soit entreprise ». D’une certaine façon, l’excuse
était vraie.
Le message de Haselden était adressé à « Sadok »,
nom donné à Gómez-Beare dans les télégrammes, mais son vrai destinataire était
Adolf Clauss, l’officier de l’Abwehr à Huelva et l’homme identifié par Montagu
comme étant « l’agent super-super-efficace », celui qui était le plus
susceptible d’intercepter les documents. Clauss était à la hauteur de sa
réputation car il savait déjà parfaitement que le corps d’un officier
britannique transportant des lettres s’était échoué dans une zone sous sa juridiction.
Il est possible que ce soit le lieutenant Pascual del Pobil lui-même qui parla
à l’agent allemand du corps et de sa mallette, ou bien, c’était le chef du
port, ou l’assistant mortuaire, ou encore le D r Fernández, qui
avait réalisé l’autopsie. Qui que ce soit, au moment où le vice-consul
britannique informa Madrid que les papiers étaient arrivés, Clauss avait déjà
mobilisé son vaste réseau d’espions pour les intercepter.
Cela s’avéra assez difficile car, tant pour les Britanniques
que pour les Allemands, l’attaché-case et son contenu étaient tombés entre les
mauvaises mains. Si la mallette avait tout simplement été remise à la police de
Huelva, comme le voulaient les Britanniques, il n’aurait fallu que quelques
heures à Clauss pour l’obtenir. Il en serait allé de même si les documents
s’étaient retrouvés en possession du gouverneur civil de Huelva, du chef du
port ou des autorités militaires, car tous ceux-là étaient à la solde de
Clauss. Mais c’était la marine espagnole qui les avait, ce qui représentait un
obstacle plus difficile à surmonter pour l’espion allemand. Montagu admit
lui-même plus tard que le fait que les documents se soient retrouvés « au
bon soin de la marine » avait bien failli faire dérailler toute
l’opération. De nombreux officiers de marine espagnols étaient pro-Britanniques
et il y avait une tradition de respect mutuel entre les marines britannique et
espagnole. Le ministre de la Marine, l’amiral Moreno, était un ami personnel
d’Alan Hillgarth, qui s’était efforcé de cultiver de bonnes relations avec les
officiers de marine : « La marine espagnole n’est pas aux mains des
Allemands », écrivit-il.
La première approche de Clauss fut la plus directe : il
demanda à son père, le consul, Ludwig Clauss, de demander à son ami et
partenaire de
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