Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
qui
entouraient le corps, mais il en savait suffisamment sur le complot pour se
rendre compte que plus l’autopsie serait détaillée, plus il y avait de chance
que le médecin légiste trouve d’indices de la véritable cause du décès. Le
vice-consul était en bons termes avec le médecin espagnol. La puanteur de la
putréfaction qui remplissait la pièce devenait presque insupportable. Avec ce
qui fut plus tard décrit comme « une présence d’esprit remarquable »,
il décida d’intervenir. « Comme il est évident que la chaleur a fait son
œuvre », dit-il, il n’est pas nécessaire de procéder à une autopsie
détaillée. « En recevant l’assurance du VC qu’il était satisfait, le
médecin, non sans soulagement, peut-être, fut d’accord pour en rester là et
rédigea le certificat. »
Le verdict post mortem était sans appel :
« Le jeune officier britannique est tombé à l’eau, alors qu’il était
encore vivant, il ne présente aucune trace de coups et se noya par asphyxie
provoquée par l’immersion. Le corps était resté dans l’eau pendant huit à dix
jours. »
Le corps fut remis dans son cercueil en bois et
officiellement transféré aux bons soins du vice-consul britannique.
Fernández était passé à côté de la décoloration révélatrice
de la peau qui indiquait un empoisonnement au phosphore. Il ne fit qu’un examen
succinct des poumons, sans en prélever d’échantillons, ni d’ailleurs du foie ou
des reins. Pourtant, d’autres aspects de l’affaire le troublaient. Au fil des
ans, le médecin avait examiné des centaines de pêcheurs noyés. Dans chaque cas,
il y avait des traces de « grignotages et de morsures par des poissons et
des crabes sur les lobes des oreilles et d’autres parties charnues ». Les
oreilles de l’officier anglais étaient intactes. Les cheveux des corps qui ont
passé plus d’une semaine dans l’eau de mer deviennent ternes et cassants.
« La brillance des cheveux ne correspondait pas au temps qu’il était censé
avoir passé dans l’eau », et dans l’esprit de Fernández, il y avait des
« doutes quant à la nature du liquide dans les poumons de l’homme ».
En privé, Fernández nota aussi quelque chose de curieux à propos de la tenue
vestimentaire. L’uniforme était trempé, mais il n’avait pas atteint le stade
difforme et dégoulinant des vêtements qui sont restés dans l’eau de mer pendant
des semaines. « Il paraissait très bien habillé pour quelqu’un qui avait
passé tant de jours dans l’eau », songea le médecin. Les deux praticiens
comparèrent également la photographie de la carte d’identité avec le mort, mais
ils conclurent qu’il s’agissait de la même personne. Pourtant, même là, le
doute était possible, car le père et le fils notèrent « que la calvitie
des tempes était plus prononcée que sur la photographie ». Le William
Martin de la photographie avait les cheveux épais, tandis que celui qui était
allongé sur la dalle mortuaire commençait à se dégarnir. Fernández en conclut
que « soit la photographie avait été prise il y a deux ou trois ans, soit
la calvitie des tempes était due au séjour dans l’eau de mer ». Cette
conclusion était étrange : l’eau de mer produit de nombreux effets sur le
corps humain, mais la calvitie masculine n’en fait pas partie.
Il est impossible de vérifier si les doutes de Fernández
transparaissaient dans le rapport final : le compte rendu fut remis aux
autorités portuaires et classé dans les archives par Pascual del Pobil, mais il
fut détruit par un incendie en 1976.
Il y avait une autre incohérence, beaucoup plus flagrante,
que Fernández remarqua bien qu’il n’en comprit pas la signification. Le degré
de décomposition, d’après Fernández, indiquait que le corps avait passé au
moins huit jours en mer. D’après les preuves trouvées dans les poches du major
Martin, celui-ci avait quitté Londres le 24 avril en fin de journée ;
et le corps avait été trouvé dans les premières heures du 30 avril. L’état
du mort n’était pas cohérent avec l’hypothèse d’un séjour d’à peine plus de
cinq jours dans de l’eau mer froide. Fernández n’était évidemment pas au
courant de la chronologie supposée de la mort du major Martin. Les preuves se
trouvaient dans le portefeuille qui était alors en possession du capitaine
Francisco Elvira Alvárez, commandant du port de Huelva et, le meilleur ami
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