Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
cher
possible : son coût total, cercueil compris, s’élevait tout juste de
250 pesetas.
Le consulat britannique s’engagea à payer les frais de
location et d’entretien de la tombe à perpétuité. Le major Martin n’était pas
le premier locataire de la tombe numéro 46, dans la quatorzième avenue de
la section San Marco, adossée au mur du cimetière. En 1938, une fillette de dix
ans, nommée Rosario Vilches, avait été enterrée là, mais ses parents avaient
été incapables de continuer à payer la concession. Deux mois plus tôt, le corps
avait été retiré et enterré ailleurs.
À midi et demi, le cercueil fut descendu dans la tombe.
Parmi les officiels présents, seul Francis Haselden savait que l’homme n’était
pas mort en mer, et lui-même ignorait tout de l’étendue de l’imposture :
un baptiste gallois enterré dans un cimetière catholique espagnol, un clochard
qui n’avait jamais porté l’uniforme à qui on accordait les honneurs d’un rang
qui n’avait jamais été le sien, un homme sans famille (ou qui ne se souciait
pas de lui) investi d’un proche qui le pleurait et enterré avec toute la pompe
militaire par une patrie reconnaissante. Glyndwr Michael s’était probablement
tué sur un coup de tête, par folie ou par accident. La dose fatale de poison
l’avait entraîné à 800 kilomètres, dans un autre pays et avec une autre
identité. L’inscription gravée sur sa pierre tombale serait : Dulce et
decorum est pro patria mori , expression tirée d’une strophe des Odes d’Horace : « Il est doux et glorieux de mourir pour sa patrie. »
Rien, de près comme de loin, était glorieux ou patriotique dans la façon dont
Glyndwr Michael mourut. Pourtant, d’une certaine façon, l’épitaphe était
appropriée : Michael avait bel et bien donné sa mort, si ce n’est pas sa
vie, pour son pays, même si on ne lui en a pas laissé le choix.
Les officiels montèrent dans leur voiture chauffée par le
soleil, les fossoyeurs commencèrent à combler l’excavation et les endeuillés
redescendirent de la colline vers la ville. Adolf Clauss les regarda partir,
puis il se dirigea à pied vers le consulat allemand. Il ne signa pas le livre
de deuil et il ne parla à personne, mais sa présence ne passa pas inaperçue.
Parmi les présents se trouvait un homme d’âge moyen et à l’air inoffensif qui
portait un costume passe-partout. Les Espagnols avaient supposé qu’il faisait
partie de la délégation officielle. Les officiels supposèrent que c’était un
Espagnol local. Depuis l’ombre d’un cyprès, Don Gómez-Beare regarda Adolf
Clauss quitter le cimetière, puis il descendit la colline derrière lui.
16
Jeu de piste
Clauss avait de quoi s’occuper l’esprit. Jusqu’à présent,
toutes ses tentatives pour obtenir l’attaché-case s’étaient soldées par un
échec. Les autorités navales espagnoles s’avérèrent vigoureusement
récalcitrantes. Peut-être seraient-elles mieux disposées à l’encontre d’un
compatriote ? Frustré, l’espion allemand résolut d’essayer une approche moins
directe. Le lieutenant-colonel Santiago Garrigos, qui commandait la Guardia
Civil, la police paramilitaire espagnole, dans le district de Huelva, était un
récipiendaire enthousiaste des largesses allemandes. Clauss demanda à Garrigos
de « faire tout le nécessaire pour obtenir des copies des documents qui se
trouvaient dans la mallette ». Garrigos avait beau être un collaborateur
empressé, c’était aussi un lâche. Il savait que s’il demandait à Elvira ou à
Pascual del Pobil de lui montrer les documents, ils en concluraient qu’il était
à la solde des Allemands et ils l’enverraient promener. « Malgré son vif
désir de servir les Allemands, ce lieutenant-colonel n’avait apparemment pas le
courage de s’adresser au juge naval » et d’exiger tout simplement qu’il
ouvre les lettres.
Toutefois, Garrigos parvint à persuader une personne du
bureau de la marine de lui dire ce qu’il y avait dans la mallette. Il envoya la
liste à Clauss :
a) Trois bulletins d’opérations britanniques
b) Deux plans
c) 33 photographies
d) Trois enveloppes adressées à Cunningham, au général
Eisenhower et au général Alexander.
Obligeamment, mais inutilement, Garrigos ajouta :
« Ces trois personnes occupent des postes de commandement des troupes
alliées en Afrique du Nord. »
Clauss savait que le contenu de la mallette devait
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