Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
être
extrêmement intéressant, quel qu’il soit. La grosse artillerie fut mobilisée.
Le consul allemand, Ludwig Clauss, fut à nouveau mis à contribution et son fils
lui demanda de se mettre en contact avec son « ami intime » Joaquín
Miranda González, le gouverneur civil de Huelva, également à la tête de la
Phalange de la province. Fasciste fervent, Miranda « nourrissait une
profonde antipathie envers les Anglais, sentiment partagé par la plupart des
fonctionnaires, et entretenait d’excellentes relations avec le consulat
d’Allemagne… Il traitait les Allemands avec favoritisme et avait la main lourde
avec les Britanniques ». Miranda était désireux d’aider et se renseigna
discrètement auprès du bureau de la marine, mais il interrompit aussi ses
démarches avant de demander à voir le contenu des lettres. « Ce gentleman,
rapporta l’un des agents de Hillgarth, n’osa pas demander des copies des
documents au juge naval. » Clauss reçut cette nouvelle rebuffade avec une
frustration grandissante et une curiosité aiguisée. Il avait dépensé une petite
fortune pour corrompre les fonctionnaires locaux. « À Huelva, Don Adolfo
peut ouvrir toutes les portes », disait-on. Pourtant, celle du capitaine
Elvira restait bien fermée. Une mallette pleine de documents secrets
britanniques se trouvait à Huelva depuis trois jours, et, jusque-là, ils
avaient « ni été copiés ni photographiés [et] étaient uniquement visibles
dans le bureau du juge naval ». Les trois enveloppes, que Clauss savait
devoir contenir les informations les plus importantes, étaient scellées.
À Londres, Cholmondeley et Montagu, de leur côté,
ressentaient de la frustration en sachant que les informations avaient atteint
leur cible, simplement pour se retrouver entre les mains fâcheusement honnêtes
de la marine espagnole. Ils décidèrent qu’il était temps d’intervenir.
Alan Hillgarth envoya un câble non crypté à Londres,
indiquant que le major Martin des Royal Marines avait été inhumé avec les
honneurs qu’il se doit : « Je dois dire que les autorités navales et
militaires étaient bien représentées et extrêmement sympathiques. » Deux
jours après les funérailles – délai estimé suffisant pour que la nouvelle
de la mort du major Martin filtre à travers la bureaucratie militaire britannique –
les services de renseignement de la Navy, à Londres, envoyèrent un câble,
rédigé sur un ton désinvolte, à Hillgarth à Madrid, numéroté
« 04132 ». Il était marqué « Top Secret » mais destiné à
être lu par les Allemands, et laissait transparaître une certaine anxiété.
« Des papiers que le major Martin avait en sa possession sont de la plus
haute importance et confidentialité. Faites une demande officielle pour tous
les papiers et avertissez-moi immédiatement par message personnel des
destinataires des lettres officielles récupérées. Ces lettres doivent être
retournées et adressées au commodore Rushbrooke, personnellement, par la
voie la plus rapide et la plus sûre. Elles ne doivent ni être recopiées, ni
ouvertes, ni manipulées d’aucune manière. Si la correspondance officielle n’est
pas récupérée, effectuez des recherches discrètes à Huelva et à Madrid pour
savoir si les lettres se sont échouées et si oui, que sont-elles
devenues. »
Au même moment, Montagu envoya un message à Hillgarth, en
utilisant le code secret personnel qui était la seule méthode sûre de
communication avec l’ambassade qui grouillait d’espions à Madrid.
« Exécutez les instructions de mon câble naval, car c’est nécessaire, mais
un échec est souhaitable. » Le message confirma simplement ce que Hillgarth
savait déjà. Le romancier et attaché naval allait créer une fiction
spécialement pour Kuhlenthal et ses informateurs mais, une fois encore, une
extrême subtilité était de mise. Les méthodes diplomatiques britanniques
étaient devenues familières aux Allemands : si un sac plein de secrets
s’était réellement perdu, les Anglais n’allaient pas se précipiter et exiger sa
restitution, car cela mettrait la puce à l’oreille des Espagnols. Hillgarth
devait commencer par une enquête de routine, puis donner progressivement
l’impression d’une urgence croissante. C’était un véritable numéro
d’équilibriste, car l’enquête devait « faire en sorte (théoriquement) de
ne pas éveiller les soupçons des Espagnols quant au fait
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