Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
que nous étions
réellement affolés que quelqu’un s’empare de ces documents, tout en rendant
évident à leurs yeux que nous étions bel et bien effrayés ».
Hillgarth fit passer le message reçu de Londres à Haselden,
à Huelva, lui demandant de mener une enquête « discrète » sur
l’endroit où se trouvaient ces papiers si importants et si secrets. Il en
profita aussi pour lancer la première rumeur qui allait mettre en branle le
grand moulin à paroles madrilène. Dans l’Espagne en guerre, la seule denrée, ou
presque, disponible en abondance était le commérage : les espions en
faisaient le commerce, le gouvernement en était saturé et tout le monde, Franco
en tête, en était friand. Le ragot était une monnaie d’échange. Le persiflage
était une arme. « Il était extrêmement facile de répandre des rumeurs en
Espagne, écrivit Hillgarth. Le pays se nourrit du bouche-à-oreille. Il suffit
d’un mot prononcé dans un club ou un café. » Pour lancer une rumeur, il
lui fallait « choisir parmi ses connaissances les bavards les plus
invétérés, en tenant compte de leurs relations, pour les exploiter comme il se
doit », expliqua-t-il. Hillgarth répandit la rumeur que les Anglais
recherchaient des documents importants à Huelva : il savait que, comme
dans le jeu du téléphone arabe, l’histoire serait déformée et amplifiée et, avec
un peu de chance, elle arriverait bientôt aux oreilles des Allemands qui
réagiraient en conséquence.
L’attaché naval britannique approcha discrètement le
contre-amiral Moreno, le ministre de la Marine. Hillgarth appréciait Moreno,
croyant qu’il était « sincèrement contre la guerre ». Les deux hommes
étaient amis, et parfaitement heureux de se servir de leur amitié dans un but
de manipulation mutuelle. Dans une précédente occasion, se souvint Hillgarth,
« j’ai réussi à tant me faire plaindre par le ministre de la Marine parce
qu’il ne pouvait pas faire ce que je voulais, qu’il finit par le faire quand
même, en courant un risque énorme, simplement parce qu’il avait l’impression de
laisser tomber un ami s’il ne le faisait pas ». Par l’intermédiaire d’un
contact dans la marine espagnole, Hillgarth envoya un mot à l’amiral, lui
demandant son aide pour assurer la restitution de l’attaché-case. Hillgarth fit
en sorte de faire la demande verbalement, et non par écrit. Moreno était une
source fiable et bien informée, et presque certainement l’un des premiers
bénéficiaires de l’or britannique. Mais Hillgarth savait aussi que le ministre
espagnol de la Marine, tout en confessant son attachement au Royaume-Uni, et à
Hillgarth personnellement, était en étroit contact avec l’ambassade d’Allemagne
et parlait souvent à l’ambassadeur, Hans-Heinrich Dieckhoff. Moreno était le
vecteur idéal : c’était le ministre à la tête de la marine qui, tôt ou
tard, était susceptible de voir les documents ; il redoublerait d’efforts
pour les récupérer et les rendre aux Anglais ; mais on pouvait aussi lui
faire confiance pour transmettre les informations aux Allemands ou, au moins,
leur donner accès aux documents, pour rester dans les bonnes grâces de tout le
monde.
Quatre jours après les funérailles du major Martin,
Hillgarth rapporta secrètement à Londres « que le ministre de la Marine,
qui ne savait rien sur les papiers ou les effets personnels, attendait un
premier rapport » des autorités navales dans le Sud et qu’il s’était
engagé à le tenir au courant des développements. Hillgarth ne donna pas
d’indication à Moreno sur le contenu de la mallette et il prit garde d’éviter
toute impression d’inquiétude indue.
Enfin, Hillgarth mobilisa son informateur le plus fidèle,
l’officier supérieur de la marine espagnole qui portait le nom de code
« agent Andros ». Il lui demanda de surveiller la mallette et son
contenu. À en croire les résultats obtenus, Andros était idéalement placé pour
cette surveillance, ce qui porte davantage encore à croire qu’il pourrait bien
être le chef des services de renseignement de la marine espagnole. Le rapport
qu’il envoya ensuite à Hillgarth et au MI6 était étonnamment détaillé en
décrivant quasi quotidiennement les aléas de l’attaché-case du major Martin.
La rumeur lancée par Hillgarth porta rapidement ses fruits.
Le 5 mai, le capitaine Elvira, l’officier supérieur de la marine à Huelva,
informa le
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