Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
quartier général de l’Abwehr, au Sud
de la ville. Le 9 mai, il présenta à ses chefs ravis la plus grande
prouesse de renseignement de sa carrière.
Étrangement, les implications de l’empressement de
Kuhlenthal à se rendre à Berlin ne semblent pas avoir été relevées à l’époque.
Le message intercepté peut avoir été accidentellement antidaté, ou décodé trop
tard pour être exploitable, et les dates figurant dans le dossier du MI5 sur
Kuhlenthal étaient contradictoires. Montagu et Cholmondeley ne surent pas que Kuhlenthal
s’était empressé de prendre un avion pour l’Allemagne : pour ce qu’ils en
savaient, les documents étaient toujours empêtrés dans le carcan de la
bureaucratie espagnole.
Le 11 mai, l’amiral Alfonso Arriago Adam, le chef
d’état-major de la marine espagnole, arriva à l’Ambassade britannique,
transportant une mallette noire, et une enveloppe administrative, et demanda à
voir l’attaché naval, Alan Hillgarth. L’officier espagnol expliqua que le
ministre espagnol de la Marine, le contre-amiral Moreno se trouvait
actuellement à Valence, mais lui avait donné des instructions pour remettre à
Hillgarth en personne « tous les effets et papiers » trouvés sur le
corps de l’officier britannique. « Tout est là », dit l’amiral
Arriago, avec un regard entendu. La clé, qui avait été retirée du porte-clés du
major Martin, se trouvait dans le verrou de la mallette et celle-ci était
déverrouillée. « D’après son comportement, il était évident que le chef
d’état-major de la marine était au courant [du contenu], écrivit Hillgarth.
Tout en exprimant ma gratitude, je montrais à la fois du soulagement et de
l’inquiétude. Ni [le] secrétaire ni moi-même ne montrions de volonté de
discuter davantage [de l’affaire]. » Après avoir remis l’enveloppe
contenant le portefeuille et les autres objets, l’amiral espagnol salua
brusquement et prit congé.
Verrouillant sa porte de bureau, Hillgarth ouvrit
délicatement la mallette et jeta un œil à l’intérieur. C’était la première fois
qu’il voyait les preuves qu’il s’était donné tant de mal à faire passer aux
Allemands. Il avait reçu pour stricte instruction de ne pas ouvrir les lettres
ou de déplacer le contenu car tout allait être étudié au microscope à Londres.
Les Espagnols ne cachaient pas que la mallette avait été ouverte. « Il est
évident [que le] contenu de la valise avait été examiné même si certains
documents semblaient collés ensemble par l’eau de mer », rapporta
Hillgarth à Londres. Il enveloppa la mallette et les autres effets dans du
papier, adressa le paquet à Ewen Montagu, aux services de renseignement de la
Navy, à Whitehall et envoya un télégramme expliquant que le colis serait placé
dans une valise diplomatique scellée sur le premier vol pour Londres qui
quittait Madrid le 14 mai. Hillgarth était convaincu que le chef d’état-major
de la marine espagnole connaissait le contenu de la mallette, mais il
ajouta : « Même si je ne pense pas qu’il divulguera ses connaissances
à l’ennemi, il est évident que d’autres gens sont dans le secret. Il est donc
plus que probable que tout sera communiqué à l’ennemi. Des notes ont
certainement été prises et des copies effectuées. » Hillgarth sollicita
aussi la permission de demander au chef de poste des SIS d’essayer de découvrir
entre quelles mains les documents étaient passés. « Si vous êtes d’accord,
je demanderai à 23000 de découvrir par ses propres moyens si les Allemands les
ont, comme il peut le faire s’ils arrivent à l’état-major combiné (ce qu’ils
feront très probablement). » D’ailleurs, les lettres sont revenues aux
autorités de la marine depuis l’état-major.
Le télégramme de Hillgarth était la première vraie bonne
nouvelle depuis que le corps s’était échoué. Pourtant, il n’y avait toujours
pas de preuve tangible que les Allemands avaient obtenu les documents, et
encore moins qu’ils croyaient à leur contenu.
Quand les lettres furent de retour entre les mains des
Anglais, les Allemands les étudiaient déjà depuis au moins quarante-huit heures
à l’insu de tous du côté britannique. Le 9 mai, l’Abwehr transmit les
lettres au haut commandement allemand, avec un message d’accompagnement
indiquant que « l’authenticité du rapport est tenue comme probable »,
même si cette note de prudence allait
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