Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
s’évaporer rapidement. La tâche
d’authentification des lettres reviendrait à la branche du renseignement au
haut commandement de l’armée allemande, la Fremde Heere West ou FHW, le
pilier du renseignement militaire allemand.
À son quartier général, un bunker à deux étages, à Zossen,
au Sud de Berlin, la FHW recevait et évaluait tous les renseignements liés à
l’effort de guerre allié. L’unité était dirigée par des officiers
professionnels de l’état-major, mais elle comptait aussi dans ses rangs des
réservistes, des journalistes, des hommes d’affaires et des banquiers qui
étaient capables de réfléchir au-delà des opinions militaires établies. À la
FHW, la moindre bribe de renseignement était scrutée minutieusement et
analysée, qu’il s’agisse de rapports de l’Abwehr, de communiqués interceptés,
d’interrogatoires de prisonniers, de rapports de reconnaissance et de documents
saisis. La FHW diffusait des prévisions à long terme des plans de l’ennemi et,
toutes les deux semaines, une étude détaillée des armées alliées, assortie de
leurs dispositions et de l’ordre de bataille. Ces documents top secret étaient
distribués non seulement à Hitler et au commandement suprême des forces armées,
l’ Oberkommando der Wehrmacht (OKW), qui avait à sa tête le maréchal
Wilhelm Keitel, mais aussi aux commandants allemands sur le terrain. Les
rapports de situation quotidiens qui évaluaient les forces et les intentions
alliées étaient envoyés directement au Führer en personne, en même temps que
des informations sur les mouvements des troupes, les activités ennemies et tous
les renseignements récemment découverts. Les rapports de la FHW étaient la crème
des renseignements allemands et la voie d’accès la plus directe à Hitler.
Le Führer était en manque de bonnes nouvelles. En quatre
mois, Hitler avait perdu un huitième de ses combattants sur les champs de
bataille d’Afrique du Nord et sur le front de l’Est. Des flottes de bombardiers
réduisaient les villes et l’industrie allemandes en miettes. L’Allemagne était
en train de perdre la guerre sous-marine : quarante-sept sous-marins
avaient coulé en mai, et trois fois plus en mars, grâce aux déchiffreurs qui
localisaient les « meutes ». Hitler blâmait ses chefs militaires.
« Il en avait plus qu’assez de ses généraux, écrivit Josef Goebbels dans
son journal. « Tous les généraux mentent. Tous les généraux sont
déloyaux. » Hitler avait besoin qu’on lui donne des nouvelles auxquelles
il pouvait croire, pour contrer les mensonges de ses officiers, pour redorer le
mythe de sa propre invincibilité. Les services de renseignement allemands
allaient lui faire cette fleur.
La FHW était dirigée par le lieutenant-colonel Alexis Baron
von Roenne, un aristocrate de petite taille, portant des lunettes et dont la
famille régnait autrefois sur quelques lopins de terre sur la côte balte. Von
Roenne était un ancien banquier et il en avait toujours l’air : il était
soigneux, pédant, snob, profondément croyant et brillamment intelligent. « Derrière
ses lunettes à la monture invisible et ses lèvres serrées travaillait un
cerveau aussi transparent que le verre. » Von Roenne s’était porté
volontaire pour se battre sur le front de l’Est, il avait été gravement blessé,
puis transféré aux services de renseignement militaires, où il connut une
ascension fulgurante, développant sa propre technique de renseignement qui
impliquait de se forger une image de l’ennemi, une Feinbild , à partir de
minuscules fragments d’information. Il bénéficiait d’une réputation quasi
mystique de divination et de prédiction des intentions des Alliés. Le mythe de
l’infaillibilité de von Roenne était largement immérité mais, surtout, Hitler y
croyait et il tenait von Roenne en très haute estime : lorsque le
commandement de la FHW fut vacant au printemps 1943, le Führer ordonna
personnellement la nomination de l’aristocrate lituanien. Von Roenne dirigeait
la branche des renseignements occidentaux de l’armée allemande depuis deux mois
lorsque les lettres Mincemeat atterrirent sur son bureau à Zossen.
Montagu avait raison lorsqu’il prédit que les Allemands
étudieraient cette mine d’informations avec une profonde suspicion et une
extrême prudence. Les Espagnols avaient remis les deux lettres cruciales, mais
les Allemands avaient obtenu un inventaire complet
Weitere Kostenlose Bücher