Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
consul britannique était présent
lors de l’examen des lettres par les fonctionnaires espagnols. » Les
lettres avaient été replacées dans leurs enveloppes et rendues aux
Britanniques, et un haut gradé du poste de l’Abwehr à Madrid avait
personnellement inspecté les enveloppes rescellées avant qu’elles ne soient
rendues à Alan Hillgarth. Les Britanniques peuvent soupçonner, sans en avoir la
preuve, que les lettres ont été lues, voire transmises aux Allemands et
copiées. « Il ne reste donc plus qu’à espérer que l’état-major britannique
maintienne ces opérations projetées, ce qui permettrait un succès retentissant
de l’Abwehr. » Pour convaincre les Britanniques que leurs secrets étaient
toujours bien gardés, von Roenne suggéra que les Allemands montent leur propre
désinformation : ils ne devaient pas laisser entendre qu’ils craignaient
des offensives simultanées à l’Est et à l’Ouest de la Méditerranée et, à la
place, ils devaient « initier un plan de diversion qui tromperait l’ennemi
en dépeignant un intérêt croissant de l’Axe pour la Sicile ». Les
Allemands devaient prétendre envoyer des renforts en Sicile, tout en n’en
faisant rien.
Von Roenne concluait par un avertissement concernant la
sécurité. « La nouvelle de cette découverte sera traitée dans le plus
grand secret et sa connaissance doit être divulguée le moins possible. »
L’évaluation du baron était remarquable par bien des aspects : elle
rassemblait tous les aspects de la désinformation et lançait même un plan
similaire pour la renforcer. Mais, le plus étonnant était surtout le soutien
retentissant qui accompagnait l’analyse : « Les circonstances de la
découverte, ainsi que la forme et le contenu des dépêches, sont des preuves
absolument convaincantes de la fiabilité des lettres. » Dès le départ, le
plus grand analyste des renseignements de l’armée réfutait toute possibilité
d’un coup monté.
C’était pour le moins étrange. Les analystes de la FHW se
méfiaient généralement des informations non corroborées qui émanaient
directement de l’Abwehr, consciente de l’inefficacité et de la corruption de
cette organisation, et ils avaient tendance à se montrer sceptiques face aux
révélations de l’Abwehr « à moins que celles-ci ne soient clairement
corroborées par une preuve tangible ». Le scepticisme naturel de von
Roenne semblait l’avoir quitté. Il savait uniquement que le poste de l’Abwehr
de Madrid lui avait signalé la découverte d’un corps, ce qui était une
information de seconde main provenant d’Adolf Clauss. Le rapport détaillant les
résultats de la seconde rencontre avec Pardo le 10 mai n’était pas encore
parvenu à Berlin. Aucune vérification supplémentaire n’avait été faite, le
corps n’avait pas été examiné, et les documents originaux étaient restés entre
les mains des Allemands pendant seulement une heure, ce qui est bien trop court
pour une expertise médico-légale. Et pourtant, il choisit de décrire les
documents comme étant incontestablement authentiques.
La tromperie est une forme de séduction. En amour comme à la
guerre, dans l’adultère comme dans l’espionnage, la duperie est uniquement
possible si la partie dupée veut bien, d’une certaine façon, être dupée.
L’amoureux trahi ne voit que les signes d’amour et se voile les yeux devant les
preuves d’infidélité, aussi criantes soient-elles. La volonté inconsciente de
voir le mensonge comme une vérité – l’amiral Godfrey emploie le mot
« wishfulness » (idéalisme) – peut prendre différentes
formes : Adolf Clauss à Huelva veut croire aux faux documents parce que sa
réputation en dépend ; pour Karl-Erich Kuhlenthal, toute découverte de
renseignements pouvant être portée à son crédit, quelle qu’en soit la crédibilité,
contribuait à le protéger, lui, le Juif au milieu de tueurs antisémites.
Toutefois, von Roenne a peut-être choisi de croire aux faux documents pour une
toute autre raison : parce qu’il détestait Hitler, parce qu’il voulait
nuire à l’effort de guerre nazie et parce qu’il avait l’intention de
transmettre de fausses informations au haut commandement en sachant
pertinemment qu’elles étaient totalement fausses et extrêmement dommageables.
Il est parfaitement possible que le lieutenant-colonel
Alexis Baron von Roenne ne crût pas un instant à la désinformation
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