Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
apparence. » Montagu était un
fin connaisseur en matière de beauté féminine.
En 1943, la section 17M avait encore grossi et comptait
quatorze personnes, dont un artiste, un journaliste pour un magazine de
yachting et deux « sentinelles » chargées de surveiller le trafic
nocturne. Les conditions de travail étaient atroces. La salle 13 était « beaucoup
trop exiguë, beaucoup trop encombrée de coffres-forts, d’armoires métalliques,
de tables, de chaises, etc., et surtout, beaucoup trop basse de plafond,
avec des poutres métalliques qui la rendaient encore plus basse. Il n’y avait
pas d’aération naturelle, seulement de l’air recyclé dans des conditions qui
auraient été immédiatement condamnées par n’importe quel inspecteur
d’usine ». Le seul éclairage était produit par des tubes fluorescents
« qui rendaient tout le monde mauve ». En théorie, le personnel
« n’était pas censé écouter ce que nous disions au téléphone ou entre
nous ». Dans un espace aussi confiné, c’était impossible : il n’y
avait pas de secrets entre les maîtres des secrets de la salle 13. Malgré
ces conditions difficiles, la section de Montagu était extrêmement
efficace : d’après l’amiral Godfrey, c’était « une bande brillante de
vainqueurs convaincus ».
Comme au tribunal, Montagu aimait aussi se glisser dans
l’esprit de ses adversaires sur le terrain de l’espionnage : des
saboteurs, des espions, des agents et des maîtres-espions dont les échanges
radio quotidiens, après avoir été écoutés, décodés et traduits, se déversaient
jusqu’à la section 17M. Il finit par reconnaître la patte de quelques
officiers du renseignement allemands et, comme pour ses anciens rivaux au
tribunal, il « commença presque à en considérer certains comme des
amis » : « ils étaient si gentils avec nous,
inconsciemment ».
Aux États-Unis, sur l’instigation d’Ewen, Iris avait
commencé à travailler pour la Coordination britannique de la sécurité, un
organisme de renseignement basé à New York et dirigé par William Stevenson, le
maître-espion qui se cachait sous le nom de code « Intrepid ».
Derrière la couverture d’un service de contrôle des passeports britanniques,
l’équipe de Stevenson pratiquait la désinformation à destination des
sympathisants nazis aux États-Unis, elle organisait l’espionnage et s’efforçait
par tous ses moyens, loyaux ou déloyaux, de pousser le pays à entrer en guerre.
D’une certaine façon, Iris avait déjà l’espionnage et la dissimulation dans le
sang. En effet, son père, le peintre Solomon J. Solomon, avait joué un
rôle dans l’invention du camouflage militaire pendant la Première Guerre
mondiale. En 1916, il avait construit un faux arbre de deux mètres
soixante-quinze de haut, en plaques métalliques enveloppées d’écorce, pour
servir de poste d’observation sur le front occidental. Cette famille avait
relevé le défi de la dissimulation et y avait pris plaisir. Ewen était content
que sa femme « soit aussi “dans le coup” », comme il disait. Les
époux s’écrivaient tous les jours, même si Ewen ne pouvait jamais vraiment
décrire ce qu’il avait fait de sa journée : « Si je suis tué, quatre
ou cinq personnes pourront te raconter après la guerre le genre d’activités que
j’avais. »
Le rôle de Montagu prit encore plus d’ampleur quand Godfrey
le nomma en charge de toute la désinformation navale par les agents doubles,
« le boulot le plus fascinant de la guerre », d’après Montagu. Par le
biais des interceptions Ultra, le Royaume-Uni arrêta tous les espions envoyés
sur son territoire par l’Abwehr, l’organisation de renseignement militaire
allemande. Un grand nombre d’entre eux furent utilisés comme agents doubles,
transmettant de fausses informations à l’ennemi. Montagu se retrouva au cœur du
« Système Double Cross », aidant « Tar » Robertson et John
Masterman à déployer les agents doubles quand la Royal Navy était impliquée. Il
travailla avec Eddie Chapman, l’escroc devenu espion, opérant sous le nom de
code « Zigzag », pour transmettre de fausses informations sur
l’armement des sous-marins ; il étudia l’astrologie pour vérifier si
l’apparente croyance de Hitler en ces prédictions pouvait être utilisée contre
lui (« très distrayant mais inutile ») et, en novembre 1941, il
se rendit aux États-Unis pour participer
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