Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
change, un instituteur, un journaliste, un
collectionneur de livres sur la pensée originale, un professeur à Oxford, un
clerc de notaire et un agent d’assurance ». Cette équipe hétérogène se
tassait dans la salle 39 de l’Amirauté, constamment nimbée de fumée et résonnant
souvent des cris et des jurons de l’amiral Godfrey. Fleming décerna à Godfrey
le surnom fortement teinté d’ironie d’« Oncle John », car on avait
rarement vu un chef aussi peu avenant. « Les résidents permanents qui
finirent par s’installer dans la cave, écrivit-il, avaient des tempéraments,
des ambitions, des statuts sociaux et des vies privées très différentes, et ils
avaient chacun leurs manies, espoirs, craintes, angoisses, amours, haines,
animosités et zones d’ombre. » Les moindres renseignements relatifs à la
guerre navale passaient par la salle 39 et même si l’atmosphère y était
souvent tendue, les membres de l’équipe de Godfrey « faisaient un travail
de fourmi et leurs résultats combinés étaient prodigieux ». Les fourmis
dirigées par Godfrey n’étaient pas uniquement chargées de collecter et de
diffuser des renseignements confidentiels, mais elles étaient aussi
responsables des agents et des agents doubles en activité, ainsi que de
l’élaboration d’opérations d’intoxication et de contre-espionnage.
Godfrey avait remarqué que Montagu était particulièrement
doué pour ce type de travail et il l’a rapidement promu. Très vite, il
représenta le Service de renseignement de la Royal Navy auprès de la plupart
des organismes de renseignement importants, dont le Comité XX, et il
dirigea sa propre sous-section du Service : la section 17M (M de
Montagu).
Hébergée dans la salle 13, une cave basse de plafond de
vingt mètres carrés, la section 17M était chargée de traiter tous les
« renseignements spéciaux » liés à des questions navales, et
principalement les interceptions dites « Ultra », c’est-à-dire les
communications ennemies déchiffrées par les cryptanalystes de Bletchley Park
quand le code d’Enigma, la machine de chiffrement allemande, fut brisé. Aux
débuts de la section 17M, les données Ultra arrivèrent par bribes, mais
progressivement, les informations secrètes coulèrent à flot, avec plus de
200 messages à traiter par jour, certains longs de quelques mots et
d’autres de plusieurs pages. La tâche qui consistait à comprendre, assembler et
diffuser cet énorme volume d’informations était comparable à
« l’apprentissage d’une nouvelle langue » d’après Montagu, dont le
rôle consistait à déterminer quels fragments devaient être transmis aux autres
agences et lesquels méritaient de figurer dans les résumés des renseignements
spéciaux, « la crème du renseignement », destinés à la coordination
des informations détenues par le MI5, Bletchley Park, les autres services de
renseignement et le Premier ministre. Montagu développa un véritable don pour
la lecture de ces flux de données, qui, même après leur décodage, pouvaient
demeurer parfaitement opaques. « Les Allemands adorent les références
croisées et les abréviations, mais ils aiment encore plus les noms de code (ce
penchant n’ayant d’égal que leur inaptitude pratique). »
La section 17M s’agrandit. La première arrivée fut Joan
Saunders, jeune femme, mariée au bibliothécaire de la Chambre des Communes et
dont la mission était d’« accomplir le travail minutieux d’indexation, de
classement et de recherche ». En fait, Joan, qui était grande, aux épaules
carrées, légèrement hautaine, et qui avait la voix forte et une personnalité
assortie, est devenue l’assistante principale de Montagu. Elle avait été
infirmière au début de la guerre et avait dirigé une infirmerie pendant la
retraite de Dunkerque. Elle avait un grand sens pratique, elle était
travailleuse, parfois terrifiante, et, en hiver, elle venait travailler
enveloppée dans un manteau en peau de tigre. Les autres femmes du service la
surnommaient « Tatie », mais jamais en face. Sa connaissance des
cadavres allait se révéler fort utile. « Elle est extraordinairement
compétente, très méthodique, mais aussi effroyablement vigilante »,
raconta Montagu à sa femme. « Il est très agréable de travailler avec
elle, même si elle n’est pas très agréable à regarder. Je n’ai pas beaucoup de
chances avec mes assistantes concernant leur
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