Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
se rendirent compte
qu’on leur avait vendu un mensonge fantastique et extrêmement dommageable et
cela les mit dans une colère noire. Joachim von Ribbentrop, le ministre des
Affaires étrangères nazies, exigea une explication détaillée sur les raisons
pour lesquelles les documents du major Martin indiquant que l’attaque en Sicile
était un leurre avaient été si allègrement reconnus comme étant
authentiques : « Il a été prouvé que ce rapport était faux, car
l’opération dirigée par les Anglais et les Américains contre la Sicile, loin
d’être une attaque fictive, était évidemment l’une de leurs offensives majeures
prévues en Méditerranée… L’ennemi a délibérément autorisé que le rapport
provenant d’une “source parfaitement fiable” tombe entre les mains des
Espagnols pour nous tromper. » Von Ribbentrop soupçonnait les Espagnols
d’être dans le coup depuis le début et ordonna à son ambassadeur à Madrid,
Dieckhoff, de mener une chasse aux sorcières à grande échelle :
« Entreprenez une minutieuse réévaluation de toute l’affaire en tenant
compte du fait que les personnes dont les informations émanaient étaient
directement à la solde de l’ennemi ou qu’elles nous étaient hostiles pour
d’autres raisons. » Dieckhoff fulmina et essaya de se tenir à
l’écart : « Les documents ont été trouvés sur le corps d’un officier
anglais abattu et les originaux ont été remis ici à notre service de
contre-espionnage par l’état-major espagnol. Les documents ont été examinés par
l’Abwehr et je n’ai pas entendu dire que leurs enquêtes aient soulevé un
quelconque doute sur leur authenticité. » Assez faiblement, Dieckhoff ajouta
que l’ennemi devait avoir changé ses plans après avoir perdu les documents.
« Les Anglais et les Américains avaient parfaitement l’intention d’agir de
la façon exposée dans les documents. Ce n’est que plus tard qu’ils changèrent
d’avis, considérant peut-être que les plans avaient été compromis par la mort
de leur porteur anglais. »
Von Ribbentrop ne voulut rien savoir. « Les services
secrets britanniques sont parfaitement capables de faire en sorte que de faux
documents parviennent aux Espagnols », insista-t-il. La désinformation
avait pour but de persuader l’Allemagne « que nous ne devions pas adopter
de mesures défensives… ou que nous devions uniquement en adopter
d’inappropriées ». Maintenant que les Alliés envahissaient la Sicile, il
voulait des noms et il voulait que les têtes tombent. « Il est presque
certain que les Anglais fabriquèrent intentionnellement ces documents trompeurs
et fassent en sorte qu’ils tombent entre les mains des Espagnols de façon à ce
qu’ils nous parviennent par un chemin détourné. Il ne reste plus qu’à savoir si
les Espagnols virent clairs dans ce jeu ou s’ils s’y firent prendre
eux-mêmes. » Les soupçons pesaient sur l’amiral Moreno, le ministre de la
Marine qui jouait double jeu, et sur Adolf Clauss et ses espions espagnols. Plus
haut dans la chaîne de commandement, cela jetait le doute sur l’Abwehr en
Espagne et sur les analystes du renseignement à Berlin qui avaient vérifié les
faux. « Qui a initialement fait circuler l’information ? demanda Von
Ribbentrop. Sont-ils directement à la solde de nos ennemis ? »
Karl-Erich Kuhlenthal était aussi dans le collimateur.
« Après le débarquement en Italie, Berlin réprimanda [le bureau de
l’Abwehr en] Espagne pour avoir manqué de soumettre des données
adéquates. » Kuhlenthal, aussi apte à échapper au blâme qu’il était habile
à recueillir les félicitations, garda la tête basse jusqu’à ce que la tempête
passe. Il devait savoir que les documents transmis à Berlin en mai s’étaient
révélés trompeurs, mais il n’en dit rien. Kuhlenthal suivit le débarquement en
Sicile avec une consternation croissante, mais l’un de ses collègues experts du
renseignement, qui avait joué un rôle au moins aussi important dans la mise en
œuvre de la fraude, a pu être le témoin du dénouement des événements avec une
satisfaction secrète. Ce n’est pas avant le 26 juillet, plus de deux
semaines après le débarquement en Sicile, qu’Alexis von Roenne, à la tête des
armées étrangères occidentales (FHW) et conspirateur antinazi, émit un rapport
dans lequel il annonçait : « à présent et de toute façon, l’attaque
prévue contre le
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