Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
Péloponnèse a été abandonnée ». Von Roenne était trop
malin pour reconnaître que les lettres étaient des faux ; il affirma
simplement, comme Dieckhoff, que les plans avaient changé. Dans le monde de Hitler,
il n’y avait pas de place pour ceux qui reconnaissaient leurs erreurs.
La plus notable victime des retombées, du côté de l’Axe, fut
Mussolini lui-même. À partir du moment où le premier allié avait posé le pied
en Sicile, Il Duce était condamné, même s’il refusait de l’admettre.
Goebbels nota : « La seule chose certaine dans cette guerre est que
l’Italie va la perdre. » Le pacte d’Acier commençait à se lézarder. Le
18 juillet, le front allié était remonté à mi-chemin de la Sicile. Ce
jour-là, Mussolini envoya un télégramme presque provocateur à Hitler :
« Le sacrifice de mon pays ne peut pas avoir comme principal objectif de
retarder une attaque directe sur l’Allemagne. » Le Führer le convoqua à
une réunion urgente. Il Duce n’appréciait pas d’être convoqué où que ce
soit, mais il s’y rendit humblement.
Les deux leaders fascistes se rencontrèrent à Feltre, à une
petite centaine de kilomètres de Venise. Hitler se lança dans une longue
diatribe, vilipendant les troupes italiennes « ineptes et
poltronnes » en Sicile et insistant sur le fait que « ce qui s’est
passé en Sicile ne devait plus se reproduire. » Au beau milieu de la
tirade, un aide de camp l’interrompit pour informer Mussolini que Rome
subissait une attaque aérienne massive, la première visant la capitale. Mussolini
resta apathique pendant le monologue qui dura deux heures. Le Duce semblait
saigné à blanc, diminué et distant. En conclusion de cette réunion accablante,
il dit simplement : « Nous nous battons pour une cause commune,
Führer. » Cette remarque sonnait davantage comme une épitaphe que comme
une déclaration de solidarité.
Le 22 juillet, Palerme tomba aux mains des troupes
américaines de Patton. Trois jours plus tard, Mussolini fut destitué de ses
charges par le Grand Conseil du fascisme, convoqué par le roi Victor
Emmanuel III à une audience privée et renversé. « Cela ne peut plus
continuer », dit le roi : Mussolini dut démissionner immédiatement
pour être remplacé par le maréchal Pietro Badoglio, l’ancien chef des forces
armées. Le dictateur italien déchu quitta la Villa Savoia caché dans une
ambulance et le nouveau gouvernement de Rome entama la tâche secrète de sortir
l’Italie de la guerre et de l’étreinte empoisonnée de Hitler. Badoglio
déclara : « Le fascisme est tombé, comme il se doit pour une poire
pourrie. » Le lendemain, Rommel fut rappelé de Grèce pour défendre
l’Italie du Nord. Serait-elle tombée si vite, ou aurait-elle pourri si
rapidement, sans l’opération Mincemeat ? Le débarquement en Sicile était
une opération militaire loin d’être parfaite, contrariée par une mauvaise
organisation et par des rivalités personnelles entre des hommes égoïstes et
puissants. Les atterrissages aéroportés furent horriblement coûteux : sur
147 planeurs britanniques, seuls 12 atteignirent leur cible et 67 s’abîmèrent
en mer. Un contingent relativement réduit de troupes allemandes parvint à
contenir la progression d’un hôte allié sept fois plus gros, puis évacua l’île
pour continuer à se battre sur la péninsule italienne. La bataille de Sicile
fut dure et amère. Mais qu’aurait-elle été si le haut commandement nazi s’y
était préparé ? Et si au lieu d’être détachée en Grèce pour attendre une
invasion imaginaire, la 1 re division de panzers avait été
déployée le long de la côte de Gela ?
Il est impossible de calculer combien de vies, des deux
côtés du conflit, furent épargnées par l’opération Mincemeat, ni dans quelle
mesure elle contribua à accélérer la fin de la guerre et la défaite de Hitler.
Les Alliés avaient prévu que la conquête de Sicile prendrait quatre-vingt-dix
jours. L’occupation fut achevée le 17 août, trente-huit jours après le
début de l’invasion. Il ne fait aucun doute pour le professeur Percy Ernst
Schramm, chroniqueur dans le journal de guerre de l’OKW, que les faux documents
avaient joué un rôle crucial : « Il est bien connu que sous
l’influence des lettres, Hitler déplaça des troupes en Sardaigne et au Sud de
la Grèce, ce qui les empêcha de prendre part à la défense contre
[Husky]. » En
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