Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
voulait déjà faire et ce qui était exactement
ce que les Alliés voulaient qu’il fasse. Les défenses allemandes au Sud de
l’Europe étaient réparties « de façon aussi large et clairsemée que possible »,
pour alimenter les craintes d’offensives multiples au lieu d’une seule attaque
massive au Sud de la Sicile. « Il ne fait aucun doute que Mincemeat a
réussi à produire l’effet voulu [et] provoqua la dispersion de l’effort
allemand à un moment crucial… L’opération a été largement responsable du fait
que la pointe orientale de la Sicile, où nous avons débarqué, était bien moins
défendue, tant par des troupes que par des fortifications. » Encore plus
gratifiant, la progression du mensonge avait été suivie à chaque stade :
« Des renseignements spéciaux nous permirent de savoir que l’ennemi s’y
trompa. » Dans l’un de ses derniers messages privés à Churchill depuis
Madrid, Alan Hillgarth décrivit la manière dont la réussite de la campagne de
Sicile avait transformé l’opinion publique et officielle en Espagne :
« La Sicile a impressionné tout le monde et ravi beaucoup. La démission de
Mussolini, et ce que cela présage, a étonné les opposants. » La crainte
que Franco puisse se ranger aux côtés de l’Axe s’était évanouie et le rôle de
Hillgarth en Espagne prenait fin.
Pendant les années qui suivirent, Bill Jewell se demanda
souvent dans quelle mesure l’opération Mincemeat « affecta réellement
l’issue du débarquement en Sicile ». On lui avait répondu que c’était
« impossible à estimer ». La désinformation ne peut pas se mesurer en
mètres gagnés sur le champ de bataille ou de soldats perdus, mais elle peut
être évaluée d’autres façons : dans le renversement de Mussolini et le
renforcement de l’obsession de Hitler pour les Balkans ; dans les défenses
clairsemées de la côte sicilienne qui permirent au débarquement allié de se
faire sans bain de sang ; dans les troupes de l’Axe clouées en Sardaigne
et dans le Péloponnèse, et dans la grande retraite à Koursk ; dans les
Panzers, attendant une attaque qui n’est jamais venue sur les côtes
grecques ; dans Derrick Leverton, assis indemne dans son trou tandis que
la contre-attaque allemande s’épuisait.
Par la suite, les historiens furent aussi convaincus que
l’intoxication avait non seulement fonctionné, mais qu’elle avait exercé un
impact profond. Hugh Trevor-Roper décrivit l’opération Mincemeat comme
« l’épisode le plus spectaculaire de l’histoire de la
désinformation ». Dans l’histoire officielle de la désinformation pendant
la Seconde Guerre mondiale, elle est définie comme « la désinformation
probablement la plus réussie de toute la guerre ». Ce fut aussi la plus
chanceuse. Certes, elle dépendait de l’aptitude, du choix du moment et du bon
jugement, mais elle n’aurait jamais porté ses fruits si elle n’avait pas
bénéficié d’une chance extraordinaire.
Les guerres sont gagnées par des hommes comme Bill Darby,
remontant la plage en tirant à tout va, et par des hommes comme Leverton,
sirotant leur thé pendant qu’il pleut des bombes. Elles sont gagnées par des
planificateurs, qui calculent correctement le nombre de rations et de
contraceptifs nécessaires à une force de débarquement ; par des tacticiens
qui élaborent de grandes stratégies ; par des généraux qui inspirent les hommes
qu’ils commandent ; par des politiciens qui galvanisent la volonté de se
battre ; et par des écrivains qui mettent la guerre en mots. Elles sont
gagnées par des actes de force, de bravoure et de ruse. Mais elles sont aussi
gagnées par des prouesses de l’imagination. Des amateurs, des romanciers non
publiés, qui furent les têtes pensantes de l’opération Mincemeat, imaginèrent
la concaténation d’événements les plus improbables, les rendirent plausibles et
les envoyèrent au combat, transformant la réalité grâce à la pensée latérale et
prouvant qu’il est possible de gagner une bataille combattue par l’esprit,
derrière un bureau et au-delà de la tombe. L’opération Mincemeat n’était faite
que de faux-semblants et ce qu’elle fit croire à Hitler changea le cours de
l’histoire.
Cette étrange histoire fut conçue dans l’esprit d’un
écrivain et fut mise en œuvre par un pêcheur qui lança sa mouche sur l’eau,
sans certitude de succès, mais avec l’optimisme et la ruse
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