Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
suffisamment retors, ce que je n’avais
pas. » Toujours d’après Godfrey, « Collecter des renseignements et
diffuser de faux renseignements, c’est comme pousser du mercure dans des ajoncs
avec une cuillère à long manche. »
Le « Mémo de la truite » était un chef-d’œuvre de
pensée alambiquée proposant cinquante et une suggestions pour « introduire
des idées dans la tête des Allemands », allant des plus plausibles aux
plus folles : lâcher des ballons de football peints dans des couleurs
vives pour dérouter les sous-marins ; jeter des bouteilles à la mer avec
des messages maudissant le Reich et écrits par un capitaine de sous-marin
imaginaire ; une fausse épave pleine de commandos ; diffuser de fausses
informations via des exemplaires contrefaits du Times (« un
média irréprochable et vierge de tout soupçon »). L’une des idées les plus
diaboliques consistait à faire dériver des boîtes de conserve remplies
d’explosifs et portant des étiquettes avec des instructions dans plusieurs
langues, dans l’espoir que des marins ou des sous-mariniers ennemis affamés les
repêchent et qu’elles leur explosent à la figure quand ils les réchaufferaient.
Même si aucun de ces plans ne s’est jamais concrétisé, le
mémo contenait l’embryon d’une autre idée, la vingt-huitième de la liste, qui
était fantastique dans tous les sens du terme. Sous l’intitulé « Une
suggestion (pas très sympathique) » Godfrey et Fleming écrivirent :
« La suggestion suivante est tirée d’un livre de Basil
Thomson : un cadavre vêtu d’un uniforme d’aviateur, dont les poches
contiendraient des dépêches, serait largué sur la côte, comme si son parachute
ne s’était pas ouvert. Je suppose qu’il n’est pas difficile de se procurer des
cadavres à l’hôpital de la Royal Navy, mais évidemment, [le corps] devait être
frais. »
Basil Thomson, ancien conseiller du roi des Tonga, tuteur du
roi de Siam, ex-gouverneur de la prison de Dartmoor, policier et romancier,
était célèbre pour avoir participé à l’arrestation d’espions pendant la
Première Guerre mondiale. En tant que chef du département d’enquêtes
criminelles de Scotland Yard et de la Branche Spéciale de la police
métropolitaine, c’est à lui que revenait le mérite (même s’il n’était pas seul)
de la traque et de l’arrestation d’espions allemands opérant en Angleterre. Il
interrogea notamment Mata Hari (et conclut qu’elle était innocente) et diffusa
les journaux intimes (« Black Diaries ») du nationaliste et
révolutionnaire irlandais, Roger Casement, décrivant ses aventures
homosexuelles. Par la suite, Casement fut jugé et exécuté pour trahison. En son
temps, Thomson était déjà maître dans l’art de la tromperie, et pas uniquement
dans sa vie professionnelle. En 1925, le respectable chef de la police avait
été arrêté pour attentat à la pudeur, en compagnie d’une « Miss Thelma de
Lava », sur un banc public, dans un parc londonien, et condamné à payer
une amende d’un montant de 5 livres.
Quand il n’arrêtait pas d’espions, qu’il ne surveillait pas
de dirigeants syndicaux et qu’il ne fricotait pas avec des prostituées
(« pour les besoins de l’enquête », comme il l’expliqua à la cour),
Thomson trouvait le temps d’écrire des romans policiers. Il en publia douze au
total, dont le héros, l’inspecteur Richardson vivait dans un monde peuplé de
demoiselles en détresse, d’hommes qui savent encaisser les coups et d’étrangers
nerveux en mal de colonisation. La majorité des romans de Thomson, qui portent
des titres du style « Mort dans la salle de bains » ( Death in the
Bathroom , traduit en français sous le titre Dans la salle de bains) et « Richardson marque encore » ( Richardson Scores Again , non
traduit en français, semble-t-il) ne valent pas la peine qu’on s’y attarde.
Mais dans The Milliner’s Hat Mystery (dont le titre pourrait être traduit
par « Le Mystère du chapeau de la modiste »), qui est paru en 1937,
il sema une petite graine. Le récit s’ouvre sur la découverte du corps d’un
homme dans une grange par une nuit d’orage. Les papiers qu’il transporte
permettent de l’identifier comme étant « John Whitaker ». Au cours
d’un travail de détective particulièrement laborieux, l’inspecteur Richardson
découvre que tous les documents trouvés sur le cadavre sont des faux : ses
cartes de
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