Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
dans des eaux peu profondes ». Une autre solution
consistait à transporter le trépassé par avion et à ouvrir la portière pour le
larguer au bon endroit. Mais le problème était que « si le corps était
projeté de cette façon, il risquait de se briser en mille morceaux en touchant
l’eau », surtout s’il avait commencé à se décomposer. Un hydravion, comme
le Catalina , pourrait amerrir, si les conditions s’y prêtaient pour
faire doucement glisser le corps dans l’eau. Cholmondeley dessina un scénario
possible : l’hydravion « arriverait par la mer en imitant une
défaillance du moteur, il larguerait une bombe pour imiter le crash, il
repartirait aussi vite que possible, il reviendrait (comme s’il s’agissait d’un
second avion), il lancerait une fusée comme s’il était à la recherche du
premier avion, il amerrirait, puis, tout en cherchant ostensiblement des
survivants, il larguerait le corps et le reste et, enfin, il décollerait à
nouveau ». Après examen, ce plan était bien trop compliqué. Trop d’aspects
risquaient de mal tourner, aboutissant à un véritable fiasco.
Mieux valait emprunter un sous-marin. Le largage pouvait
avoir lieu de nuit et si la profondeur était insuffisante, on rapprocherait le
corps de la côte à bord d’un canot pneumatique. Le capitaine du sous-marin
pouvait surveiller les vents et les courants pour faire surface et larguer le
corps au moment optimal. « Après le largage du corps, l’illusion serait
renforcée si une pièce d’artifice pouvait être laissée sur place pour créer
l’impression d’un avion qui s’écrase en lançant une fusée de détresse et en
déclenchant une explosion avec un retardateur. » Le seul problème, comme
Cholmondeley le fit savoir avec toute la délicatesse qu’il se doit, était posé
par « les difficultés techniques de la conservation du corps pendant la
traversée ». Les sous-mariniers avaient la réputation d’être des durs à
cuire, capables de supporter de longues périodes d’immersion en respirant un
air fétide dans un espace exigu. Mais ces mêmes sous-mariniers ne seraient
certainement pas ravis d’avoir un cadavre en décomposition comme compagnon de
cabine. En outre, l’opération était top secret : la présence d’un cadavre
à bord d’un sous-marin ne serait pas tenue secrète très longtemps. « Parmi
ces méthodes, conclut Cholmondeley, la meilleure est celle du sous-marin (à
condition de pouvoir assurer la bonne conservation du corps). »
Il n’est déjà pas facile de faire monter clandestinement un
cadavre à l’intérieur d’un sous-marin, mais l’empêcher de pourrir dans
l’atmosphère chaude et confinée de la soute l’est encore moins. Cholmondeley se
tourna vers Charles Fraser-Smith de la « Branche Q », premier
fournisseur de gadgets aux services secrets. Ancien missionnaire au Maroc,
Fraser-Smith était officiellement un bureaucrate du département de
l’Habillement et du Textile au ministère de l’Approvisionnement ; son
véritable travail consistait à fournir aux agents secrets, aux saboteurs et aux
prisonniers de guerre un vaste éventail de gadgets, tels que des appareils
photo miniatures, de l’encre invisible, des armes secrètes et des boussoles
cachées. (C’est Fraser-Smith qui fournit à Ian Fleming l’équipement nécessaire
à ses projets les plus extravagants et il servit certainement à forger la
personnalité de « Q », l’inventeur génial des films de James Bond.)
Fraser-Smith était à la fois extrêmement ingénieux mais
aussi terriblement pratique. Il inventa le chocolat à l’ail pour les agents
parachutés en France afin que, dès leur arrivée, leur haleine ait la même odeur
que celle des autochtones ; il fabriqua des lacets de chaussures contenant
un garrot métallique ; il imagina une boussole cachée dans un bouton qui
se dévissait dans le sens des aiguilles d’une montre, en se fiant à la théorie
implacable selon laquelle « la logique inébranlable de la pensée
allemande » ne devinerait jamais qu’il était possible de dévisser dans le
mauvais sens.
Avec l’aide de Fraser-Smith, Cholmondeley dessina le plan du
premier système de transport de cadavre sous-marin au monde. C’était un coffre
tubulaire, mesurant deux mètres de long et près de soixante centimètres de
diamètre, avec une double enveloppe en acier de calibre 22, l’espace entre
les deux tôles étant garni de laine de verre.
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