Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
payer grassement des informations sur les mouvements des
navires, les activités des Britanniques à Huelva et les allées et venues des
fonctionnaires espagnols. Aucun mot ne pouvait être prononcé, aucune parole ne
pouvait être murmurée à Huelva, sans qu’ils n’arrivent aux oreilles
extraordinairement grandes d’Adolf Clauss, qui relayait fidèlement tout ce
qu’il entendait à ses chefs de l’Abwehr, à Madrid.
Maigre, introverti et associable, Adolf Clauss possédait
néanmoins le talent essentiel pour un espion : l’écoute. « Il ne
protestait jamais ; si vous pensiez avoir le bon argument, il vous
laissait toujours avoir le dernier mot. » Mais même sa famille le trouvait
« froid, distant et silencieux ». Il se mettait au travail à six
heures du matin et ne faisait jamais de sieste. Il buvait rarement. Il ne
souriait presque jamais. Il avait une mentalité de collectionneur, de
perfectionniste. Il aimait réunir les informations fournies par son réseau de
renseignement, puis il les épinglait dans différents compartiments, à la
manière des papillons.
Les autorités britanniques de Huelva étaient au courant des
agissements de l’étrange lépidoptériste allemand, car les Anglais avaient leurs
propres espions et informateurs. Dans les paisibles rues bordées d’orangers de
Huelva, une autre course au renseignement avait lieu, même si elle se déroulait
à une échelle moindre que celle qui faisait rage à Madrid. Le réseau d’espions
de Clauss présentait une menace pour le trafic maritime britannique. De
nombreuses vies avaient déjà tourné court à cause de ses activités. Pourtant,
Clauss était un adversaire insaisissable. Comme le disait l’un des officiers
britanniques du renseignement : « C’était quelqu’un d’intelligent.
Aucun de nos agents ne parvenait à le tenir à l’œil. Il était ingénieux et
semait tous ceux qui le suivaient. »
Don Gómez-Beare décrivit le réseau de Clauss à Montagu et
Cholmondeley, qui le connaissaient déjà en partie. Les messages de l’Abwehr qui
avaient été décodés avaient révélé, au début de la guerre, l’existence à Huelva
de cet « agent allemand très efficace qui était parvenu à faire travailler
pour lui la majorité des fonctionnaires espagnols, soit moyennant une rémunération,
soit pour l’idéologie fasciste ». Pendant plus de trois ans, Montagu avait
été témoin de la montée en puissance des activités d’espionnage des Allemands
au Sud de l’Espagne, de la violation des eaux territoriales espagnoles par les
sous-marins allemands et des activités de celui qu’il appelait « cet agent
super-super efficace » à Huelva, avec des sources de « premier
choix » et qui semblait quadriller toute la ville : « Aucun
bateau ne pouvait appareiller sans être vu, identifié et signalé par
radiotélégraphie. Les Allemands sont informés par les gardiens de phare, les
bateaux de pêche, les pilotes et les navires de la marine, ainsi que des agents
à bord de bateaux de pêche banalisés. » Quand les Allemands commencèrent à
mettre en place un système de repérage par infrarouge pour suivre les bateaux
qui passaient la nuit par le détroit de Gibraltar, Churchill songea brièvement
à lancer un raid commando contre l’installation. Seules les objections
diplomatiques les plus vigoureuses du gouvernement britannique parvinrent à
persuader les Espagnols d’intervenir pour le faire supprimer. En règle
générale, le gouvernement espagnol tolérait sans mot dire ou excusait
activement l’espionnage et le sabotage par les Allemands des navires
britanniques et alliés.
Gibraltar, situé à quatre-vingts kilomètres de Huelva, était
la porte d’accès des Anglais à la Méditerranée, « l’un des endroits les
plus difficiles et compliqués de la carte », d’après John Masterman. Le
Rocher gardait l’entrée sur la mer. Pour les Britanniques, c’était un
avant-poste stratégique sur la côte espagnole. Il exerçait un attrait
magnétique sur les espions. Comme l’écrivit le chef du MI5 sur la péninsule,
dans un accès de lyrisme : Gibraltar était « le plus petit joyau de
la couronne impériale… ce point stratégique sur la carte du monde n’est pas
seulement une colonie, c’est aussi une ville de garnison, une base navale, un
port de commerce, un aérodrome civil et militaire et une vitrine pour la
Grande-Bretagne en Europe ». L’Abwehr payait grassement les
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