Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
qu’il était seul
responsable de l’opération, même si Bevan ne le voyait pas ainsi. En privé, Montagu
accusait Bevan de « penser que ça ne marcherait pas et de nier toute
responsabilité ».
Dans son rapport, Montagu dressait un état des lieux :
le corps était presque prêt, l’uniforme et l’accoutrement du major Martin
avaient été choisis, le coffre hermétique était en construction ;
Gómez-Beare et Hillgarth attendaient leurs instructions en Espagne. Une date
butoir avait été définie. « Le major embarquerait comme passager
clandestin à bord du HMS Seraph, qui quittait probablement la côte
Nord-Est du pays, le 10 avril. » Cela ne laissait que deux semaines
pour conclure les préparatifs. Montagu et Cholmondeley avaient délibérément
cherché à tout organiser avant d’obtenir l’aval final pour l’opération, en
supposant que les officiers supérieurs auraient moins tendance à s’en mêler si
on leur présentait un fait presque accompli . Mais il ne restait
que très peu de temps pour finaliser la dernière, et de loin la plus
importante, pièce du puzzle. La lettre adressée par Montagu à Bevan se
terminait sur une note d’exaspération : « Tous les détails sont
“bouclés”, écrivit-il. Il ne manque plus que les documents officiels. »
Le débat à propos de ce qui devait ou non figurer dans les
lettres officielles du major Martin avait duré plus d’un mois. Jamais pendant
la guerre un document n’avait été soumis à un examen aussi minutieux ou à
autant de révisions. De nombreuses versions successives furent proposées par
Montagu et Cholmondeley, révisées par divers officiers supérieurs et comités,
annotées, retapées, renvoyées pour approbation, puis modifiées, amendées,
rejetées pour finir par être entièrement réécrites. Comme Montagu l’avait
initialement envisagé, tout le monde s’accordait à dire que le point principal
de la désinformation devait être une lettre personnelle adressée par le général
Nye au général Alexander. Il était aussi entendu que la lettre devait désigner
la Grèce comme cible de la prochaine offensive alliée et que la Sicile était la
cible de diversion. Hormis cela, personne n’était d’accord sur rien.
Presque tous ceux qui lisaient la lettre pensaient qu’elle
pouvait être « modifiée et améliorée ». Tout le monde, c’est-à-dire
toutes les instances officielles concernées, du Comité XX aux chefs
d’état-major, avait son opinion sur la manière de procéder. L’Amirauté pensait
qu’il fallait que ce soit « plus personnel ». Le ministère de l’Air
insistait sur le fait que la lettre devait clairement indiquer que le
bombardement des aérodromes de Sicile était un préliminaire au débarquement en
Grèce et non un prélude à l’offensive en Sicile. Le général Sir Alan
Brooke, chef de l’état-major impérial et président des chefs d’état-major,
voulait « une lettre en réponse à une autre du général Alexander ».
Le directeur des Plans pensait que l’opération était prématurée et qu’elle
« ne devait pas être entreprise plus de deux mois avant la véritable
opération », au cas où les vrais plans venaient à changer. Bevan se
demandait si l’ébauche de lettre ne paraissait pas « trop
officielle » et insistait sur le fait d’« obtenir l’approbation de
Dudley Clarke, car c’est son théâtre des opérations ». Clarke lui-même,
dans une rafale de câbles en provenance d’Alger, prévenait du « danger de
surcharger ce type de communication » et s’en tenait au point de vue selon
lequel c’était « une erreur de miser sur des enjeux de désinformation
aussi élevés ».
Bevan demeurait anxieux : « Si quoi que ce soit
tourne mal et si les Allemands découvrent que la lettre est un faux, ils en
déduiront que nous avons l’intention d’attaquer la Sicile. » Clarke
rédigea sa propre ébauche, ce qui enragea davantage Montagu, qui considéra cet
effort comme « une simple allusion de bas étage à la cible, du type de
celles qu’un agent double fait et fera toujours passer ». Le directeur des
Plans était d’accord sur le fait que « Mincemeat devait être capable de
bien mieux que ça ». Bevan s’essaya à son tour à la rédaction d’une lettre
que Montagu dénigra immédiatement comme « étant du type qui aurait pu
avoir été envoyée par signal et qui ne paraîtrait pas authentique aux yeux des
Allemands
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