Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
et fils, en même temps que la
contenance sévère et formelle requise de ceux qui travaillent dans le commerce
de la mort.
En 1943, le gardien de cette longue tradition, qui remontait
à six générations, était Ivor Leverton. Son frère aîné, Derrick, servait comme
major dans l’artillerie en Afrique du Nord, et n’allait pas tarder à prendre
part à l’offensive que tout le monde savait être sur le point de se produire en
Europe. Ivor, qui avait des problèmes respiratoires et qui avait été déclaré
physiquement inapte au service militaire, gérait les affaires familiales. Même s’il
n’avait que vingt-neuf ans, Ivor dirigeait l’entreprise avec le plus grand
sérieux, veillant à ce que tous les clients, riches ou pauvres, soient traités
avec la même solennité et dignité. Mais au-delà de cette façade, comme la
plupart des croque-morts, Ivor Leverton avait un tempérament imperturbable et
un sens de l’humour acerbe.
Il se sentait coupable de ne pas se battre sur le front. Le
plus proche qu’il avait été de l’action, c’était en 1941, quand il était parti
chercher un mort à l’hôpital de la Tempérance, à Euston : une bombe tomba
dans la cheminée et des éclats de verre passèrent à travers son chapeau noir à
la « Anthony Eden ». Ivor avait très envie d’avoir un rôle à jouer.
Il n’était donc que trop heureux qu’on lui demande de transporter un corps, au
milieu de la nuit, dans le plus grand secret, pour accomplir une tâche
d’« importance nationale ».
La requête émanait de PC Glyndon May, un officier qui
travaillait pour Bentley Purchase, le médecin légiste de St-Pancras.
Leverton & Fils était régulièrement en affaire avec le coroner ,
mais jamais pour ce type de travail. Ivor écrivit dans son journal :
« Je ne devais pas divulguer ce que l’on me dirait, conformément à la Loi
sur les Secrets d’État, pas même à ma propre famille. Aucune trace ne devait
être conservée et nous ne recevrions pas le moindre penny en
dédommagement. » La demande de May arriva le 1 er avril, et
pendant un instant, Ivor Leverton se demanda si le « coup de téléphone de
l’Institut de médecine légale de St-Pancras n’était pas une blague ». Mais
le constable May était on ne peut plus sérieux : Ivor devait
emporter un cercueil à la morgue qui se trouvait derrière le bureau du médecin
légiste, où May le rencontrerait à une heure du matin, le samedi 17 avril.
Il devait agir seul et porter le cercueil lui-même. « J’étais encore en
assez bonne forme, râla Ivor, mais c’était quand même beaucoup demander. »
Peu après minuit, Ivor Leverton descendit sur la pointe des
pieds de son appartement situé au-dessus du salon funéraire sur Eversholt
Street, prenant soin de ne pas réveiller sa femme, et emprunta un corbillard
dans le garage de l’entreprise, à Crawley Mews. Il roula jusqu’à l’entrée
principale du salon funéraire et porta tant bien que mal l’un des
« cercueils de rapatriement » en bois doublé de zinc à l’arrière,
espérant que Pat, leur voisin le plus curieux, ne se réveille pas et ne le voie
pas en train de se débattre avec un lourd cercueil en pleine nuit. Glyn May
attendait à la morgue. Tous les deux portèrent tant bien que mal le corps dans
le cercueil. Le mort portait un uniforme militaire kaki, mais pas de
chaussures. Leverton fut surpris par sa taille. Les cercueils standards de
Leverton & Fils mesuraient un mètre quatre-vingt-huit de long à
l’intérieur, mais le mort « devait bien mesurer un mètre
quatre-vingt-treize » et ne pouvait donc pas reposer à plat. « En lui
pliant les genoux et en inclinant ses pieds, nous y parvînmes tout
juste. »
Après un trajet sans encombre à travers les rues désertes de
la ville jusqu’à la morgue de Hackney, Leverton aida May à décharger le
cercueil, ils « laissèrent [leur] passager » dans l’un des
réfrigérateurs mortuaires et rentrèrent chez eux. La femme de Leverton, qui
était enceinte de l’un des rejetons de la future génération de croque-morts,
dormait toujours.
La morgue de Hackney avait été choisie par Bentley Purchase
parce qu’« on pouvait compter sur le silence de son gardien ». Un peu
plus tard ce jour-là, à dix-huit heures, Purchase retrouva Cholmondeley et
Montagu à la morgue, avec Glyn May. La dépouille de Glyndwr Michael fut retirée
du réfrigérateur et placée sur un chariot. Près de
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