Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
du « réseau Felipe » était devenue son principal
travail : « Étant un officier motivé et efficace, il faisait tout ce
qui était en son pouvoir pour fournir à Garbo des codes secrets, des encres
sympathiques et des adresses de haut vol pour assurer sa sécurité maximale. Il
lui offrait aussi des moyens financiers considérables. »
Par le biais des interceptions radio, les Anglais suivaient
avec plaisir la dépendance croissante de Kuhlenthal envers Garbo et son capital
qui grimpait à Berlin. « Nous avons eu la satisfaction d’apprendre par
l’intermédiaire des MSS [ Most Secret Sources, principalement des sources
Ultra] que toutes les informations de GARBO étaient traitées en priorité et que
les moindres rapports militaires qui parvenaient à Madrid par le réseau GARBO
étaient immédiatement transmis à Berlin. » Les officiers traitants de
Garbo en Angleterre étaient stupéfaits de la facilité avec laquelle Kuhlenthal
croyait aux « nombreuses choses incroyables que nous lui faisions
croire ». En effet, « plus les rapports étaient sensationnels, plus
nous pouvions être certains que Madrid les transmettrait aux quartiers généraux ».
Kuhlenthal semblait parfois transmettre les informations de Garbo sans même les
lire, et encore moins les remettre en cause. « Dans certains cas, quand
les messages semblaient extrêmement urgents, ils étaient retransmis à Berlin
avec à peine une heure de décalage par rapport à Madrid. » Par
l’intermédiaire de Garbo et Kuhlenthal, les services de renseignement
britanniques s’adressaient directement à Berlin : « Felipe était
devenu notre porte-parole. » C’était « une voie inestimable par
l’intermédiaire de laquelle nous pouvions tromper l’ennemi ».
Alors qu’ils passaient au peigne fin les messages de
Kuhlenthal à Berlin, les cryptanalystes anglais remarquèrent quelque chose
d’étrange. À croire que les informations de Garbo n’étaient pas encore assez
sensationnelles, Kuhlenthal les relevait encore pour leur donner plus de
substance. Il n’hésitait pas non plus à inventer ses propres sous-agents. La
plupart de ses élucubrations étaient fausses ou insensées. Il commit aussi
quelques erreurs comiques, comme sa « conviction que l’île de Man se
trouve au Nord de l’Irlande ». Le MI5 arriva à la conclusion que les
informations ajoutées étaient « inventées par Felipe en personne ».
Kuhlenthal trompait ses chefs de l’Abwehr en leur transmettant des
renseignements imaginaires, en plus des informations qu’il croyait fermement
être vraies alors qu’elles ne l’étaient pas. « Jusqu’ici, les informations
fournies par son entremise étaient inexactes, inexploitables ou fournies par le
MI5 par l’intermédiaire des agents doubles sous son contrôle. »
Guy Liddell du MI5 considérait Kuhlenthal comme « l’une
de ces personnes qui inventent la majorité de leurs informations ». Il est
possible qu’il ait aussi détourné de l’argent. C’est du moins ce que pensaient
certaines personnes au sein de l’Abwehr. D’après un message intercepté,
Kuhlenthal entretenait, à Londres, un agent qui coûtait très cher, un diplomate
yougoslave, qui avait coûté 400 livres à l’Abwehr en deux ans. « En
Espagne, des officiers sont convaincus que K fait moitié-moitié, c’est-à-dire
qu’il partage les indemnités mensuelles entre sa bourse et celle du
diplomate. »
Un autre facteur faisait que le maître-espion allemand de
Garbo convenait parfaitement pour être le destinataire de la mystification de
Mincemeat : Karl-Erich Kuhlenthal était juif.
Même si l’officier de l’Abwehr avait une grand-mère juive,
il ne se considérait pas comme juif. Son mariage à une femme à moitié juive
n’avait pas entravé la carrière militaire de son père. Mais c’était avant
l’avènement du nazisme. D’après la politique raciale sans compromis de Hitler,
le quart de sang juif qui coulait dans les veines de Kuhlenthal était suffisant
pour sa discrimination, sa persécution ou pire encore. Plus tard, Kuhlenthal
allait affirmer que l’antisémitisme l’avait contraint à fuir l’Allemagne,
« quittant un bon emploi de gérant d’une grande cave de champagne et de
vin détenue par son oncle ». Son frère, officier, avait quitté l’Allemagne
pour la même raison et s’était installé au Chili. C’est Canaris qui était
intervenu pour le compte de son parent (le chef
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