Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale

trois mois étaient passés
depuis le décès de Michael. Pendant sa longue réfrigération, ses yeux s’étaient
enfoncés dans ses orbites et sa peau avait jauni sous l’effet de la jaunisse
due au poison. À part ça, son corps semblait dans un état de conservation
correct. Un gilet de sauvetage « Mae West » fut passé par-dessus sa
tête et noué autour de sa taille ( Mae West était employé en argot pour
désigner les seins : quand le gilet de sauvetage en caoutchouc est gonflé
au maximum, la poitrine de celui qui le porte semble grossir démesurément,
rappelant au soldat la vedette à l’opulente poitrine). La chaîne fut passée
autour de ses épaules, à l’extérieur de son manteau et sous le Mae West, avant
d’être nouée à la ceinture du trench-coat. L’attaché-case aurait dû être remis
au lieutenant Jewell pour qu’il l’attache à la chaîne au dernier moment, mais
le coffre était suffisamment grand pour accueillir le corps et la mallette. La
poignée fut attachée à l’extrémité de la chaîne et la mallette fut déposée sur
le corps. Il ne restait plus à Jewell qu’à y ranger les documents et à basculer
le corps dans l’eau, en s’assurant qu’il s’échoue de façon à ce qu’il soit
aussi facile que possible pour les Espagnols ou les Allemands de retirer la
mallette et la chaîne sans laisser de trace ». La montre, qui n’avait pas
été remontée, avait été réglée sur 2 heures 59 et passée au poignet
gauche : avec un peu de chance, les Allemands en déduiraient que la montre
s’était arrêtée quand le Catalina imaginaire s’était abîmé en mer.
    Il ne manquait plus que les chaussures pour que la tenue du
major Martin soit complète. Mais lui enfiler ses godillots se révéla la partie
la plus difficile de toute l’opération d’habillement. Dans le réfrigérateur
très froid, les pieds avaient gelé et la cheville était figée en formant un
angle droit avec la jambe. Il était impossible d’enfiler les bottes, même si
les lacets étaient complètement défaits. Bentley Purchase eut une idée.
« J’ai trouvé , dit le légiste. Nous utiliserons un radiateur électrique
pour dégeler seulement les pieds. Dès que les godillots auront été enfilés,
nous le remettrons au réfrigérateur pour qu’il regèle. »
    PC May partit chercher le radiateur électrique dans la loge
de la morgue. S’ensuivit une scène macabre au cours de laquelle Montagu
essayait de dégeler les pieds du mort pendant que Cholmondeley s’évertuait à
lui enfiler ses bottes. Finalement, les chevilles dégelèrent suffisamment et
les bottes furent enfilées, suivies des guêtres. Le gel et le dégel allaient
certainement accélérer la décomposition, mais une fois les guêtres solidement
fermées, les pieds ne tomberaient probablement pas. Comme Montagu le dit du
fond du cœur, ce fut « la partie la moins agréable de notre
travail ».
    Le portefeuille du major, qui contenait les lettres de Pam
et de Père, fut glissé dans la poche de poitrine. Dans ses autres poches fut
placé le reste du « désordre » qui complétait sa personnalité :
crayon, petite monnaie, clés, et, ajout de dernière minute, deux talons de
billet pour Strike A New Note , un spectacle de variétés, avec l’artiste
de music-hall Sid Field, qui se jouait au théâtre du Prince de Galles. C’était
encore une des idées lumineuses de Cholmondeley. Le HMS Seraph devait
quitter Holy Loch le lundi 19 avril et il lui faudrait dix ou onze jours
pour atteindre Huelva. Toutefois, les Allemands devaient être persuadés que le
corps s’était échoué après avoir passé moins d’une semaine à la mer suite à un accident
d’avion. Mettons que le corps soit trouvé le 28 avril, il fallait que ses
poches contiennent une preuve qu’il était encore à Londres le 24 avril.
C’est là que Sid Field entrait en scène. Cholmondeley acheta quatre tickets
pour son nouveau spectacle au théâtre du Prince de Galles, le 22 avril,
déchira les contremarques des deux places centrales et les mit dans la poche du
manteau du major Martin. « Nous avons décidé que Bill Martin et Pam
devaient faire la fête avant le départ de Bill. » Ce serait leur dernière
soirée ensemble avant que le jeune officier ne parte pour l’Afrique du Nord et
n’aille au-devant d’une mort certaine. Les talons offraient une
« preuve » irréfutable que le seul moyen de transport qu’il aurait pu
emprunter