Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale

un cylindre contenant un cadavre qui allait servir à faire
une blague qui humilierait les Allemands. Horsfall adorait les bonnes blagues.
Un jour, il avait branché la lunette des toilettes sur une batterie et avait
attendu que sa petite amie s’y assoie. « Le hurlement que poussa Kath
quand la magnéto fut allumée fut très satisfaisant. » Il écrivit même un
poème pour commémorer cette occasion.
    Je lui ai laissé le temps de commencer à
faire pipi
Puis j’ai donné au truc un bon coup de pouce
Avant même d’avoir fini un tour
Elle ferma le circuit avec sa poupe
Et décollant du siège en bois
Elle émit un cri perçant.
    Même si l’idée de transporter un cadavre dans la nuit pour
embobiner les Allemands plaisait beaucoup à Jock Horsfall, il n’en parla jamais
à quiconque, alors que c’était sans doute l’épisode de conduite le plus
significatif de sa vie. Même s’il était imprudent derrière le volant, quand il
ne se trouvait pas dans un véhicule motorisé, Jock Horsfall était la discrétion
personnifiée. Le MI5 avait une flotte de voitures et de fourgons, mais pour
cette opération, Horsfall avait choisi l’un de ses propres fourgons, un Fordson
30 CWT, de six ans, transformé pour pouvoir charger une Aston Martin à
l’arrière, muni d’un moteur gonflé avec lequel « il affirme avoir atteint
160 km/h dans une rue piétonne ». Il était minuit passé quand Ewen
Montagu, Charles Cholmondeley et Jock Horsfall chargèrent le cylindre à
l’arrière.
    Le trio fit un bref arrêt à l’appartement de Cholmondeley,
situé dans une ruelle qui donne sur Cromwell Road, pour prendre un repas léger,
« l’un de nous était assis sur le rebord de la fenêtre pour s’assurer que
personne ne voie le major Martin dans le fourgon (même s’il ne valait pas
grand-chose pour le voleur, il avait beaucoup de valeur pour nous) ».
Cholmondeley déclara plus tard que c’était la première fois qu’il « dînait
avec un cadavre garé en bas de chez lui ». La sœur de Cholmondeley,
Dottie, prépara quelques sandwiches au fromage et un Thermos de thé chaud. À
deux heures du matin environ, le groupe se mit en route en direction du Nord.
Jewell avait demandé que le passager clandestin soit déposé à bord du HMS Seraph le 18 avril avant midi. Horsfall faisait la course contre la montre, sa
seconde occupation favorite.
    L’opération Mincemeat faillit connaître une fin prématurée
et embarrassante avant même qu’ils aient quitté Londres. En passant devant un
cinéma, où était projeté un film d’espionnage, Jock Horsfall fit une remarque à
propos de « la bien meilleure histoire » qu’ils vivaient
actuellement. Il fut pris de fou rire et faillit emboutir un arrêt de tramway.
Un peu plus tard, le chauffeur myope qui roulait à vive allure, vit trop tard
un rond-point et traversa le terre-plein herbeux par son centre. Voilà bien le
genre de chose à laquelle on pouvait s’attendre de la part de Jock Horsfall.
Cette expérience était d’autant plus inquiétante qu’il lui fallait conduire avec
les phares masqués à cause du couvre-feu. Par chance, ils ne croisèrent pas
beaucoup de voitures. Montagu et Cholmondeley s’allongèrent chacun leur tour à
l’arrière pour essayer de dormir. Jamais ils ne frôleraient la mort de plus
près pendant la guerre que cette nuit-là.
    Au Sud du village de Langbank, entre Glasgow et Greenock, à
l’Ouest de la Clyde, ils s’arrêtèrent pour se dégourdir les jambes et mangèrent
les sandwiches préparés par Dottie. Dans la lumière pale de l’aube des
Highlands, ils posèrent pour quelques photographies à côté du fourgon. Jock
Horsfall grimpa à l’arrière et fut photographié en train de boire une tasse de
thé perché sur le cylindre.
    Une vedette les attendait au dock de Greenock. Avec l’aide
d’une demi-douzaine de marins et de quelques cordes, le lourd coffre fut
lentement descendu sur le bateau, suivi du canot et des rames. Quelques minutes
suffirent pour atteindre le HMS Forth , le navire d’approvisionnement le
long duquel était amarré le sous-marin. Les officiers étaient « partiellement
“au courant” », mais l’arrivée du coffre ne provoqua ni méfiance ni
commentaire parmi l’équipage, qui « le considéra comme étant une cargaison
fragile plus urgente que d’habitude ». Montagu et Cholmondeley furent
accueillis chaleureusement par Jewell, qui donna des ordres pour que la
cargaison