Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
admiration pour vos conseils,
pleins de bon sens et de sang-froid… Ces questions peuvent uniquement être
traitées par des hommes d’esprit déterminés et par des gens qui suivent une
doctrine, par des hommes de combat et par des belligérants audacieux. Les
confidences peuvent uniquement se faire entre camarades. C’est ainsi que la
grande Allemagne est devenue ce qu’elle est. C’est ainsi qu’elle a été capable
d’accorder une telle confiance à l’homme qui la gouverne, sachant qu’il n’est
pas un despote démocratique mais un homme d’origine modeste qui n’a fait que
suivre un idéal… »
Page après page, Garbo raillait l’« idéologie
démocratique judéo-maçonnique », exhortant les Allemands à envahir la
perfide Albion (« l’Angleterre doit être prise par les armes, elle doit
être envahie, détruite, dominée… ») dans ses lettres parsemées de
patriotisme nazi : « C’est le bras levé que je termine cette lettre
en pieux souvenir de tous nos morts. »
Kuhlenthal gobait tout. « Son absence de sens de
l’humour, typiquement allemand, dans des circonstances aussi sérieuses que
celles-ci, le rendait aveugle aux absurdités du récit que nous
déroulions. » L’officier de l’Abwehr se vantait ouvertement de son
talentueux espion, portant le nom de code « Arabel », qui envoyait
des informations secrètes depuis le cœur de l’Angleterre. Quand Canaris, le
chef de l’Abwehr, se rendit en Espagne, Kuhlenthal, qui avait « la
vedette », le divertit notamment avec une histoire. En mars 1943,
l’agent Arabel avait obtenu un précieux manuel sur les avions de la RAF, qu’il
avait emballé dans du papier sulfurisé et fait cuire à l’intérieur d’un gâteau.
En glaçage au chocolat, il avait écrit : « Mes meilleurs vœux à
Odette ». Une lettre accompagnait le gâteau et faisait croire qu’il
s’agissait d’un cadeau de la part d’un marin anglais à sa petite amie à
Lisbonne. Kuhlenthal expliqua à Canaris qu’il avait été déposé en lieu sûr à
Lisbonne, avec une note de Pujol qu’il lut à son public ébloui : « J’ai
fait le glaçage moi-même. J’ai dû utiliser plusieurs produits rationnés que
j’ai sacrifiés pour la bonne cause… Bon appétit. » Kuhlenthal conclut sa
performance par une blague un peu lourde, soulignant que même si son agent
« confectionnait des gâteaux au goût désagréable, leur contenu était
excellent ».
Canaris fut impressionné. La réputation de Kuhlenthal monta
encore d’un cran. (En fait, le gâteau avait été préparé par l’épouse de Garbo,
envoyé à Lisbonne par la valise diplomatique et déposé par un agent du MI6. La
brochure de la RAF était dépassée et les services secrets britanniques savaient
que l’Abwehr l’avait déjà.)
La carrière de Garbo allait atteindre son point culminant
lors du débarquement allié en Normandie en 1944. Le plan de désinformation lié
au débarquement portait le nom de code « Fortitude » et avait pour
objectif de persuader les nazis qu’au lieu de se dérouler en Normandie,
l’offensive principale aurait lieu dans le Pas-de-Calais. À cette fin, une
fausse armée américaine fut « assemblée » dans le Kent, des émissions
radio furent produites et des allusions furent faites devant des diplomates
« neutres » moins que fiables. De nombreux fils furent tissés dans
l’écheveau de désinformation qu’était l’opération Fortitude, mais aucun n’était
plus important que le système d’agents doubles et, parmi ces agents, aucun
n’était plus vital que Garbo. Depuis sa maison de Crespigny Road, à Hendon,
Pujol diffusa plus de 500 messages radio entre janvier 1944 et le
Jour J, tissant une fantastique toile de désinformation à l’aide de son
détachement d’« agents » fantoches, minuscules pièces d’un puzzle qui
ne trouverait son sens qu’une fois assemblé par les Allemands. Au grand
étonnement de tous, l’intoxication fut réussie. Six semaines après le Jour J,
Pujol fut décoré de la Croix de Fer par ordre du Führer pour « services
extraordinaires » rendus au Troisième Reich. Il fut également nommé MBE
(Membre de l’ordre de l’Empire Britannique), mais en secret.
En 1943, Karl-Erich Kuhlenthal, la vedette de l’Abwehr à
Madrid, mangeait dans la main de Garbo, et il était vorace. Un bureau fut
spécialement créé pour traiter les « vastes informations » reçues et
l’exploitation
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