Par ce signe tu vaincras
invités à pénétrer dans la cathédrale.
Au moment où je passais devant lui, il avait murmuré : « Puerta del Pardon. » Puis il avait traversé la nef en direction du Sagrario et il s’était agenouillé le premier devant la statue de Santa Maria de la Incarnación.
Cela aussi, après la Puerta del Pardon, m’a paru un signe.
J’ai donc prié pour Zora. Mais les noms se sont mêlés, et j’ai prié aussi pour Mathilde de Mons et Lela Marien qu’on appelait Aïcha, celle qui, pour moi, était la Mauresque au sabre courbe.
Zora avait brandi une arme semblable pour me tuer, et Vous m’aviez sauvé, Seigneur.
Mais Vous aviez laissé mourir Aïcha.
J’avais écouté le matin même la harangue pleine de fatuité de don Garcia Luis de Cordoza. Le capitaine général de Grenade avait péroré devant don Juan dans la grande salle de réception du Palacio de l’Audiencia. Il avait déclaré que ses officiers, parmi les ruines d’un village de morisques conquis, puis détruit et brûlé, avaient découvert le corps d’Aïcha la rebelle, celle qu’il appelait la Perfide, la Renégate, la Possédée. Ils avaient profané sa dépouille conformément aux ordres précis du capitaine général – cela, je l’avais appris de la bouche d’un des soldats. Ils l’avaient d’abord dénudée, puis l’avaient empalée, lui coupant les seins, enfonçant une hampe de pique dans son sexe, et à la fin, après l’avoir promenée des jours durant dans tout le pays morisque, ils l’avaient dépecée, jetant son tronc et sa tête aux porcs, ses membres aux chiens errants.
Tel avait été le sort d’Aïcha, qui m’avait arraché à la prison chrétienne du capitaine général de Grenade.
Je me suis tourné vers don Juan. Il était penché, le front reposant sur ses mains croisées. Il priait, les yeux clos. Je voyais ses lèvres remuer. Son visage juvénile aux traits réguliers et fins exprimait la tristesse et même la souffrance.
Me souvenant de ce qu’il m’avait dit, j’ai imaginé qu’il était comme moi saisi par le remords.
Il avait vu ces corps de femmes et de vieillards massacrés, éventrés. Il avait entendu les cris des mères, ceux des enfants qu’on séparait des mères. Il avait longé comme moi les cortèges humiliés et désespérés des morisques qu’on chassait de leurs demeures.
Était-ce pour ces vaincus-là, ces martyrisés-là, infidèles mais hommes comme nous, qu’il priait ?
Ou bien demandait-il à Dieu de lui accorder la grâce, l’honneur de commander la flotte d’une Sainte Ligue que le pape Pie V voulait créer pour tenter d’arrêter l’avancée musulmane ?
Sur ordre du sultan Selim II qui avait succédé à Soliman, les flottes d’Ali Pacha et de Lala Mustapha s’étaient enfoncées comme une épée dans l’Adriatique, allant jusqu’à Raguse, croisant devant Venise, n’hésitant pas à débarquer des troupes, à saccager les villes et les comptoirs vénitiens.
Un jour de septembre, le 13, les espions turcs – qui d’autre l’aurait fait ? – avaient fait exploser un magasin de poudre à Venise. Le feu s’était aussitôt propagé à l’Arsenal, le cœur de la Sérénissime, détruisant les corderies, les galères, les forges et les fonderies, les canons. Le vent avait attisé l’incendie et d’autres réserves de poudre avaient sauté, faisant s’écrouler des tours, ravageant des centaines de maisons et quatre églises.
Il fallait réagir. Mais il était bien tard.
Chypre était assiégée par trois cents navires turcs et barbaresques et par cinquante mille soldats. La flotte rassemblée des galères vénitiennes, auxquelles s’étaient jointes des espagnoles et des génoises, n’avait pu desserrer le garrot qui étouffait l’île où ne résistait plus que la ville de Famagouste.
On ne pouvait laisser le sabre musulman fouailler ainsi la chrétienté.
Pie V avait envoyé dans tous les royaumes des cardinaux, des membres de la Chambre apostolique pour exhorter les souverains chrétiens à s’engager dans une croisade qui avait d’abord pour but, avant de reconquérir, de sauver, protéger, défendre la chrétienté.
Mais les souverains de France et du Portugal avaient refusé. Philippe II lui-même s’était montré réticent. Il se méfiait des Vénitiens, toujours prêts à négocier avec les Turcs s’ils y trouvaient leur avantage.
Or, que serait une Sainte Ligue limitée à la papauté, à Venise, à quelques princes
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