Par ce signe tu vaincras
m’incline.
C’est cela, la cour. J’en suis.
J’assiste aux courses de taureaux et aux tournois. Puis je m’agenouille dans l’église de Santa Maria de la Almudena où tous les grands d’Espagne communient.
On reçoit le cardinal Alessandrino, envoyé du pape, chargé d’obtenir enfin de Philippe II une réponse favorable aux demandes du souverain pontife. Près du cardinal se tient le général des Jésuites, François Borgia.
On sort de l’église. On forme un long cortège qui va parcourir les rues de Madrid au milieu de l’enthousiasme populaire.
Les archers s’avancent, entourant la bannière blanche de la papauté où sont brodées en fils d’or la tiare, les clés et la croix.
Puis viennent les porteurs des bannières de chaque royaume d’Espagne aux couleurs rouge, or et jaune.
Et passent les régiments de hallebardiers suisses et de lansquenets allemands.
Et voici le cardinal sur une mule blanche dont le pelage tranche avec le noir du destrier que chevauche don Juan.
Je m’inquiète. On acclame don Juan autant et peut-être même plus que le roi. Il est jeune, beau comme un héros, sa poitrine serrée dans une armure noire sertie de pierres précieuses et barrée d’une écharpe frangée d’or.
Je sais par Sarmiento que le monarque est toujours aux aguets. Il craint qu’un nouveau soleil ne naisse, qui brille tant que son propre éclat en paraisse terni.
— Ton don Juan, me dit-il, n’est qu’un bâtard. Jamais Philippe II n’acceptera qu’il s’élève non pas seulement au-dessus de lui, mais à sa hauteur ou à celle d’un héritier. Un bâtard reste un bâtard. Jamais il ne sera appelé Altesse ! Jamais roi.
Sarmiento fait la moue.
— Excellence, tout au plus…
Il me prend par le bras. Il faut qu’il me mette en garde, reprend-il. C’est le roi qui mène le jeu, et non pas don Juan. Je dois, insiste-t-il, rester à Madrid, paraître chez la princesse d’Eboli. C’est elle qui, avec son mari, Ruy Gomez, et le secrétaire du roi, Antonio Pérez – il murmure : « son amant, mais le roi l’ignore » –, fait et défait les destins.
Sarmiento m’assure qu’il comprend ma volonté de combattre les infidèles. Mais les Turcs ne sont qu’une des faces du diable. Il y a l’autre, les huguenots qu’en dépit de son engagement envers Philippe II le roi de France s’obstine à ménager et avec qui la reine mère, Catherine de Médicis, négocie et conclut des alliances.
Ceux-là représentent le plus grand danger pour l’Église, pour la chrétienté, pour l’Espagne. Ils veulent porter secours aux gueux des Pays-Bas, ces rebelles que combat le duc d’Albe, mais qui sont aussi coriaces que de la viande séchée aux feux de l’enfer.
C’est sur les rives de la Seine, de la Loire ou du Rhin, en France et dans les Flandres que se joue le sort de la chrétienté.
Sarmiento reçoit régulièrement des dépêches d’Enguerrand de Mons qui représente l’ordre de Malte auprès de Charles IX. Il s’est mis au service du roi d’Espagne, comme tout bon catholique doit le faire.
— Au service du roi et non de son bâtard de frère !
J’interroge Sarmiento : Philippe II rejoindra-t-il la Sainte Ligue ? répondra-t-il aux demandes du pape ? écoutera-t-il le cardinal Alessandrino et le général des Jésuites ?
Qu’est-ce qu’être catholique, si ce n’est prêter main-forte au pape dans sa lutte contre les infidèles ?
— L’Espagne, oui, dit Sarmiento. Mais toi, Bernard de Thorenc, qui t’oblige à suivre don Juan sur ses galères ?
Nous suivons le cortège.
Don Juan s’est placé auprès du roi. Nous entrons dans l’Alcazar qui fait face à l’église Santa Maria de la Almudena. Le cardinal Alessandrino descend de sa mule.
Il est entouré par les grands d’Espagne engoncés dans leurs habits de velours et portant leurs colliers d’or et d’argent.
L’un des archers brandit la bannière pontificale. Un autre élève un étendard en damas rouge aux images brodées de saint Pierre et saint Paul ainsi que d’une croix blanche.
Et j’entends François Borgia lancer d’une voix forte la devise inscrite sur l’étendard : Tu hoc signo vinces !
C’est ma réponse à Sarmiento : « Par ce signe tu vaincras. »
Je partirai avec don Juan et ceux des gentilshommes qui voudront le suivre.
Nous irons à Barcelone et embarquerons sur la galère la Reale.
Don Juan commandera la flotte de la Sainte Ligue.
Tu hoc signo
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