Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Par ce signe tu vaincras

Par ce signe tu vaincras

Titel: Par ce signe tu vaincras Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
Vom Netzwerk:
il s’exprimait d’une voix si abattue que je ne pouvais croire à ses propos.
    Il savait comme moi que les gardiens se seraient vengés sur nous d’une évasion réussie. Or ils paraissaient se désintéresser de notre sort, nous jetant quelques croûtons de pain, remplissant un seau d’une eau qui nous semblait d’autant plus saumâtre et fétide que nous entendions, sur le quai, chanter la fontaine.
    Aussi, la nuit, continuions-nous de ronger et creuser avec nos ongles le bois de la carène.
    Un jour, les gardes-chiourme nous détachèrent avec les derniers galériens. De la pointe de leurs piques et de leurs sabres, ils nous poussèrent sur le pont, tout en nous injuriant et en nous frappant parce que nous trébuchions et cherchions à nous agripper aux cordages.
    J’ai reçu ma bonne part de coups et ai chancelé, hésité, titubé comme un homme craintif qui ne sait plus ni tenir debout ni marcher.
    La lumière, l’air vif, les couleurs des collines qui entouraient la ville, la vue des arbres m’ont enivré.
    On m’a poussé sur le quai.
    J’y suis resté agenouillé. J’ai levé les yeux et découvert les maisons basses aux toits de tuile et aux façades craquelées, blanches ou jaunies.
    Cette terre, cette ville étaient chrétiennes.
    Puis j’ai entendu les cris rocailleux, les voix gutturales, et j’ai aperçu ces hommes en turbans, suivis par leurs esclaves aux chevilles entravées, qui marchaient sur les quais, s’engouffraient dans les ruelles, s’interpellaient d’une fenêtre à l’autre, palabraient sur le seuil des maisons.
    Non, cette terre, cette ville n’étaient plus chrétiennes.
    Elles avaient été livrées aux infidèles par mon suzerain, le roi Très Chrétien, et mon père et mon frère avaient favorisé cette félonie.
    Ils avaient prétendu qu’il s’agissait de défendre le royaume de France, menacé par l’empereur Charles Quint qui cherchait à établir sur le monde sa monarchie universelle et masquait ses ambitions sous les grimaces de la foi.
    C’est ce que mon père m’avait dit.
    Mais j’étais à genoux sur le sol d’une ville livrée aux infidèles.
    Pleuvaient sur mon dos les coups de hampe. On me frappait du plat des sabres. On me piquait les jambes comme on fait à un animal pour qu’il se redresse.
    Et je me suis levé, et l’on m’a séparé de mes compagnons.
    Je les ai vus s’éloigner, attachés l’un à l’autre, Sarmiento marchant le dernier. Il était le plus grand, et tenait son corps droit, noble sous les haillons.
    Il s’est tourné vers moi et a crié :
    — Dieu te protège, frère !
    Le garde qui le suivait lui a asséné un coup sur les épaules, mais il n’a pas baissé la tête et a continué à me regarder.
    Avant de disparaître dans l’une des ruelles, il a crié derechef :
    —  Esperanza !
    J’ai vu le garde lever sa pique sur lui et on aurait dit que c’était mon âme qu’on perçait.
    L’espace de quelques instants, le désespoir m’a à la fois aveuglé et paralysé. Je n’ai pu avancer malgré les bourrades, les coups, les cris de l’homme qui me gardait.
    Puis il a tiré sur la chaîne qui me liait les poignets et les chevilles, et il m’a forcé à trottiner, à sautiller comme un animal tenu en laisse.
    J’ai eu honte.
    La foule des infidèles m’entourait. La plupart m’ignoraient, mais quelques-uns se moquaient, me crachant au visage, me bousculant avec mépris, me faisant trébucher et s’esclaffant lorsque je chutais sur le pavé.
    J’ai eu la tentation de ne pas me relever. Il aurait bien fallu alors que mon gardien me traîne ou me tue.
    À tout prix je voulais redevenir un homme.
    —  Esperanza ! m’avait crié Sarmiento.
    Je suis resté couché sur le sol, indifférent aux coups dont le gardien me rouait. Il me tapait sur le dos et les cuisses, enfonçait dans mes mollets la pointe de sa pique.
    Tout à coup, un vieil homme s’est approché et a repoussé mon gardien en le menaçant du poing, et la foule autour de nous s’est écartée.
    Le vieillard s’est accroupi. Il portait un turban noir qui s’enroulait autour de son cou. Il m’a tendu la main.
    Nos regards se sont croisés et je n’ai lu dans ses yeux que de la compassion, de la fraternité, de l’humilité.
    Un sanglot m’a étouffé.
    Esperanza, esperanza.
    J’ai saisi sa main, l’ai serrée. Je me suis mis à genoux, puis debout.
    Le vieil homme m’a caressé le visage, puis s’est éloigné. Aussitôt, le

Weitere Kostenlose Bücher