Par le sang versé
surface plusieurs minutes avant de s’enfoncer définitivement. Il n’a pas saigné, et au bout d’un moment ni Roch ni Kraatz n’auraient pu désigner avec certitude le point de sa disparition.
Les deux survivants ne se regardent pas. Roch dévisse son bidon et avale une large gorgée d’alcool de riz. Une heure encore ils tiendront en échec la compagnie viet, économisant les coups qu’ils tirent, se contentant de faire la preuve de leur vitalité. Dans son abri, Pazut continue à respecter les consignes : il fait le mort.
Le jour baisse rapidement et, sans avertir, Kraatz profite de la lumière incertaine pour tenter de rejoindre le sergent. Gêné dans sa course par le F. M. dont il n’a pas voulu se séparer, il est repéré au deuxième bond et frappé d’une balle en plein flanc juste avant d’atteindre son but et de s’écrouler, à l’abri, auprès de Roch qui l’aide à trouver une position supportable. La blessure du légionnaire n’est pas mortelle mais il perd son sang et Roch ne dispose d’aucun moyen pour enrayer l’hémorragie. De toute façon tous deux savent que cela ne servirait à rien. Ils se partagent le reste du bidon d’alcool. Roch allume une nouvelle cigarette et, du regard, en propose une au blessé qui refuse d’un signe. Alors, très vite, sans aucune hésitation, Roch saisit le F. M. et tire une rafale entière dans la nuque de son compagnon, puis, avec des gestes d’automate il démonte l’arme et en jette les pièces, une à une, au loin dans le marécage. Enfin, sans transition, il arme de nouveau son propre pistolet mitrailleur et retourne le canon contre sa tempe : son pouce crispé sur la détente commande le tir d’une rafale entière. Son corps s’affale mollement.
Pazut garde un long moment dans ses oreilles le sifflement provoqué par le fracas des détonations.
Dans la forêt les viets ont compris. Avec méfiance trois d’entre eux sortent de leur abri. L’absence de réaction et l’inspection sommaire du charnier leur font conclure à l’anéantissement de la patrouille. Alors, sur un cri aigu de l’un des éclaireurs, un tourbillon vociférant déferle sur la piste. À coups de crosse, les viets s’acharnent sur les cadavres dont ils font éclater les crânes.
Horrifié, Pazut profite de leur excitation pour quitter son abri en rampant dans la boue. Il s’est débarrassé de ses chaussures et de son casque. De toutes ses armes, il ne conserve que son poignard de commando. Après quelques mètres, il s’enfonce dans le marécage. Bien que la profondeur de l’eau soit bien inférieure à sa taille, il ne laisse émerger que sa tête, il avance sur ses genoux qui reposent sur le fond boueux. En une heure, il parcourt ainsi une centaine de mètres puis il reprend pied sur un terrain mou et herbeux. Devant lui, il distingue dans le clair de lune un groupe de paillotes lépreuses qui semblent abandonnées. Avec d’infinies précautions il s’en approche, constate l’absence de vie, et va se terrer, épuisé, dans l’une d’elles.
La paillote est infestée de rats que l’intrusion du légionnaire n’effraie même pas. Dans un coin il aperçoit une couche surélevée de quelques centimètres, reposant sur des cales de bois. À l’opposé un silo à riz pourvu d’un couvercle. Pazut s’y glisse et ramène le couvercle sur lui. Sa petite taille lui permet de se tenir recroquevillé dans le réservoir qui, de fabrication sommaire, et détérioré, laisse passer l’air tout en le protégeant des rats. Par une fente, placée face à la porte de la paillote, Pazut a un champ visuel suffisant pour déceler la moindre approche.
Pendant près d’une heure, rien ne se passe et Pazut commence à reprendre espoir. Soudain, il est tiré de sa torpeur optimiste par un tumulte croissant : les viets s’abattent sur les paillotes comme une nuée de sauterelles. Épouvanté, le légionnaire distingue un groupe qui tire, en les traînant dans la poussière, les corps de ses quatre compagnons liés par les pieds. Les cadavres sont pendus à deux branches d’arbre ; la lumière d’un feu de bois allumé par les rebelles projette sur les paillotes de sinistres ombres mouvantes. Pazut a dégagé son poignard de sa gaine. Comme on le lui a enseigné, il en bloque la pointe entre deux côtes à hauteur du cœur. Il attend, décidé à ne pas se rendre s’il est découvert.
À la lueur du feu, il aperçoit plusieurs femmes. Elles portent le
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