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Par le sang versé

Par le sang versé

Titel: Par le sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul Bonnecarrère
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e compagnie et donc de son camarade Kreur. Les hommes de la 8 e les ont surnommés les « siamois ».
    Lucien Mahé est le benjamin de la compagnie, tout le monde ignore comment et pourquoi, il y a six mois, il est arrivé à Bel-Abbès. Son âge est souvent un sujet de raillerie. Pour que son incorporation soit acceptée, il a dû prétendre être âgé d’au moins dix-huit ans, mais malgré une saine et solide constitution il ne semble pas avoir plus de seize ou dix-sept ans. Quant à Pazut, l’Italien, c’est un ancien policier fasciste, petit, malin, au teint de pruneau. Il doit peser tout au plus une soixantaine de kilos, rien n’altère jamais sa bonne humeur et il a le goût de la plaisanterie facile. Pourtant il passe son temps à se plaindre de tous et de tout.
     
    Après un quart d’heure d’une marche lente et précise, les six hommes sont en nage ; les insectes attirés par l’odeur de la sueur tournoient, bourdonnent, se posent, piquent, semblent se jouer des gifles que les légionnaires se plaquent sur le cou et les jambes, dans d’inutiles efforts.
    Seul, en tête, le sergent Roch paraît insensible à la danse des moustiques, il marche, réglant de son pas de métronome, la cadence de ses hommes.
    Comme à chaque mission, Pazut placé en serre-file vocifère, prenant à témoin de son infortune tous les saints du ciel. De temps en temps, Kraatz lance :
    « Ta gueule, Pazut, tu nous emmerdes ! »
    Un instant l’Italien se calme, puis son monologue reprend au même rythme, jusqu’au suivant : « Ta gueule, Pazut, tu nous emmerdes ! »
    À l’approche de Cao-Mit l’humeur de Pazut se modifie. Sur la musique d’une rengaine napolitaine, il improvise maintenant des paroles à la manière d’un chanteur de flamenco.
    Kreur constate :
    « Le moral du Rital va mieux, c’est un vrai compteur kilométrique ce gars-là. Quand il chante, c’est qu’on n’est plus loin du but.
    –  N’empêche, réplique Hampe, que je le trouve bruyant, l’endroit ne me paraît pas tellement choisi pour se faire remarquer. »
    Roch interrompt :
    « Tu t’imagines que je le laisserais gueuler si on avait une chance de passer inaperçus ! S’il y a des viets dans le secteur ils savent d’où on est parti et où on va, c’est pas le silence de Pazut qui changerait quelque chose.
    –  Sincèrement, vous y croyez aux viets dans le secteur, sergent ? interroge Kraatz. Trois mois qu’on traîne par ici et on n’en a pas vu un seul.
    –  Je ne suis pas là pour croire ou pas croire, je suis là parce qu’on m’a dit d’y être », tranche Roch.
    Il est juste midi lorsque le groupe de Roch arrive sur la place de Cao-Mit. Les hommes de la Coloniale sont déjà installés au bistrot. Le sous-lieutenant Bâcle s’est rendu au rapport chez le chef de poste.
    Les cinq légionnaires s’assoient à leur tour devant une table bancale et commandent des canettes de bière qu’ils ingurgitent d’un trait. La bière semble ressortir instantanément par tous les pores de leur peau. Les cinq hommes ruissellent, ils s’essuient simplement le haut du visage d’un revers de manche, ou à l’aide d’un mouchoir douteux, pour protéger leurs yeux. Pour le reste, ils ont pris l’habitude. L’intérieur de leur casque de liège, et les sangles en cuir de leur sac et de leur fusil sont imprégnés de transpiration ; le cuir en garde une curieuse souplesse et exhale une odeur qui leur est devenue familière.
    C’est une compagnie de la Coloniale qui occupe le poste de Cao-Mit, 120 hommes, 80 p. 100 de Marocains.
    « Dites, les gars, déclare Pazut, il paraît qu’ils ont un bordel ici, on a peut-être le temps de se refaire une santé avant de rentrer au bagne !
    –  T’as surtout le temps de te faire plomber ! remarque Kraatz. Avec le tas de boucs qu’il y a ici, elles doivent pas être fraîches les putes ! »
    Tous, sauf Pazut, éclatent de rire.
    « Les boches, constate Pazut, c’est né raciste, ça crève raciste, y a pas à sortir de là. »
    Kraatz ne relève pas, il se contente de hausser les épaules avec dédain. Pazut semble embarrassé :
    « Je te demande pardon, je voulais juste rigoler, je voulais pas te vexer.
    –  Tu m’as pas vexé, et tu ferais mieux d’offrir à boire au lieu de pleurnicher.
    –  Ça, c’est une idée, tranche Lucien Mahé. Pazut n’a qu’à payer à boire chaque fois qu’il dit une connerie.
    –  Comme ça, constate Kreur, on sera

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