Par le sang versé
impossible, c’est que ça l’est ! Nous descendrons à l’aube et encore dans la mesure où nous découvrirons une possibilité. Sinon, nous contournerons. Terminé ! »
Segretain coupe le contact sans y avoir été invité.
« C’est vraiment un enfant gâté, fait remarquer Jeanpierre. Voilà qu’il veut qu’on vienne le border dans son lit…
– Ne l’accable pas trop, interrompt le commandant. Mets-toi à sa place. Il est dépassé, on le serait à moins. »
À l’aube du 4 octobre, le lieutenant Faulque trouve une crevasse par laquelle on peut tenter de descendre. C’est excessivement périlleux mais ce n’est pas irréalisable. Avec sa compagnie, il y parvient en moins de deux heures.
Segretain et Jeanpierre s’apprêtent à suivre le même chemin quand Lepage fait savoir qu’il est repéré. Pour le B. E. P., nouveau contrordre de Lepage. Les éléments qui sont encore sur le plateau y demeurent. Cette nouvelle plonge les hommes dans le désespoir car en bas il y a de l’eau et en haut ils sont assoiffés. Le capitaine Jeanpierre descend lui-même avec une section, rejoint Faulque, et organise un ascenseur à bidons.
La journée se passe ensuite dans l’attente. Lepage est toujours harcelé. L’ennemi fait la preuve qu’il est partout retranché à l’abri dans les montagnes calcaires et boisées, mais il ne cherche pas à anéantir les tirailleurs. Une seule raison peut expliquer cette attitude : les viets sont au courant de l’arrivée de Charton. Ils l’attendent pour sonner l’hallali.
Dans la nuit du 4 au 5 octobre, Lepage parvient enfin à entrer en contact avec Charton. Le 3 e Étranger sera là le lendemain, au plus tard à l’aube du 6. C’est l’explosion de joie. Mais elle est suivie d’un nouvel ordre incohérent. Le B. E. P. doit descendre dans la nuit et rejoindre au complet les tirailleurs avant l’aube.
Ce qui était périlleux le jour, devient effroyable dans l’obscurité. D’autant que maintenant l’ennemi s’est glissé partout et qu’il faut en plus se tenir sur ses gardes. Une dizaine d’hommes se tuent en tombant dans le vide. Néanmoins à l’aube, lorsque le B. E. P. rejoint Lepage, ils sont encore plus de trois cents survivants.
La journée du 5 se passe en vaines tentatives pour situer l’ennemi, pour rechercher l’endroit par lequel on pourra percer, sortir en force lorsque Charton aura rejoint.
Le matin du 6, le 3 e Étranger apparaît sur les crêtes nord (les deux seules qui ne sont pas tenues par l’ennemi). Le bataillon de Charton a dû abandonner tous les civils, mais les quinze cents hommes sont en ordre, encore relativement frais, prêts à se battre.
Leur apparition sur les pitons provoque dans la cuvette un véritable délire de joie. Seuls les trois officiers du B. E. P., Segretain, Faulque et Jeanpierre, demeurent réservés. Ils connaissent les viets ; ils redoutent qu’en deux jours l’ennemi ne soit parvenu à se regrouper en masse.
Les plus pessimistes de leurs prévisions étaient encore bien loin de la réalité : autour des deux cuvettes de Coc-Xa, les viets ont réussi à amener et à dissimuler entre vingt et trente mille hommes pourvus d’artillerie lourde.
À l’heure où on croyait tout sauver, tout était perdu.
Dans les combats qui suivirent, l’héroïsme et la confusion, le désespoir et la grandeur dépassent l’imagination. Pendant quarante-huit heures lès encerclés cherchent à sortir par la force. Ils n’abandonnent jamais. Ils tentent plus de vingt points de passage. Chaque fois ils se font hacher sur place. Charton est descendu, a essayé de remonter en face. Des positions ont été arrachées au prix de flots de sang. Il a fallu les abandonner. Finalement, le 7 au soir, l’ordre ultime est donné : chacun pour soi. Objectif : le Sud, That-Khé où la garnison française doit encore tenir.
Le commandant Segretain est tué dans un combat à l’arme blanche. Le lieutenant Faulque est tombé, transpercé par plusieurs balles. Le commandant Forget a été foudroyé à la tête d’une section.
Les chiffres témoignent mieux que n’importe quel récit. Sur près de six mille hommes engagés dans l’opération « Thérèse », moins de cent hommes parvinrent à rejoindre les lignes françaises. Du millier de légionnaires qui constituaient le B. E. P., il n’y en eut que douze.
41.
L ANG -S ON , 6 octobre. L’état-major réalise enfin l’ampleur du
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