Par le sang versé
colonne de secours Lepage en arrive à lancer un appel de détresse ? Il faut remonter de quelques jours en arrière pour le comprendre.
À la fin septembre, Lepage et ses Marocains ont établi à That-Khé leur jonction avec le B. E. P. L’artilleur attend l’ordre de passer à l’attaque. Cet ordre, il le reçoit le 30 septembre. Il est laconique, il déclare simplement que le « Groupement Bayard » devra s’emparer de Dong-Khé le 2 octobre à midi.
Alors, Lepage convoque son état-major : le commandant Arnaud du 8 e Tirailleur marocain, le commandant Delcros du 11 e Thabor, le capitaine Faugas du 1 er Thabor, mais surtout, l’aréopage des « seigneurs de marbre », les officiers du 1 er B. E. P., Segretain, Jeanpierre, Faulque, Roy, Marcé. Ils sont confiants, résolus, inébranlables. De leur bataillon prestigieux se dégage une exaltante impression d’invulnérabilité. Que Lepage décide à cet instant que le 1 er B. E. P. se taillera dans ce combat la part du lion, est parfaitement logique. Ce qui l’est moins, c’est qu’il n’ait pas compris que même les meilleurs soldats du monde ne peuvent pas tout.
À l’aube du 2 octobre, sur la R. C. 4, deux compagnies du B. E. P. progressent vers Dong-Khé, en tête de la colonne Lepage.
Sans incident, les parachutistes de la Légion parviennent jusqu’au sommet du col de Loung-Phaï, dépassent le poste abandonné de Na-Pa et arrivent au point culminant de la route. Ils surplombent maintenant la cavité géante au fond de laquelle se dessine la citadelle qu’ils doivent reconquérir. Le capitaine Jeanpierre rejoint le lieutenant Faulque. Les deux officiers scrutent le fortin à la jumelle.
« Il n’y a personne dans le poste, déclare Jeanpierre affirmatif.
– D’après toi, ils sont autour dans la montagne ? interroge Faulque.
– Sans aucun doute.
– Si on descend, on en prend plein la gueule !
– On a une mission ou on fait du tourisme ? Charton est de l’autre côté. Je n’ai pas envie de lui poser un lapin. Il faut tout casser. S’accrocher à la R. C. 4, s’abriter dans la citadelle et tenter de remonter en face. On va y laisser des plumes, mais il n’y a rien d’autre à envisager. Pars en avant avec ton peloton. Je te suis et je fais descendre Lepage et les Marocains. »
Faulque s’élance en tête de son peloton d’élèves gradés, suivi d’une compagnie entière du B. E. P. Dès qu’il atteint le fond de la cuvette, l’enfer se déchaîne. De tous les points de la montagne, une armée fait feu sur une centaine d’hommes. Par surcroît, il reste des éléments viets pourvus d’armes automatiques qui s’étaient embusqués dans la citadelle. Faulque parvient pourtant à mettre ses survivants à l’abri près d’un ruisseau bordé d’herbes et de quelques rochers.
La catastrophe est explicable en quelques mots : Les viets ne sont plus dans Dong-Khé, ils ont évacué la cuvette. Par milliers, pourvus d’artillerie lourde, dissimulés dans les calcaires, ils tiennent les crêtes.
Par radio, Faulque transmet au capitaine Jeanpierre :
« Dans la citadelle, ils ne sont pas nombreux, je peux la prendre. Tu peux suivre et dire au Vieux de faire dégringoler les Marocains derrière toi. » Lepage refuse. Il donne l’ordre à Jeanpierre de faire remonter Faulque et ses hommes. Le lieutenant obéit. Une trentaine des siens sont morts pour rien.
Dong-Khé n’est pas pris. La R. C. 4 est toujours coupée en deux.
L’idée que Lepage eut à cet instant semble logique. Rappelons que nous sommes dans la matinée du 2 octobre. Charton n’a pas encore quitté Cao-Bang. Lepage compte regagner sa base de départ de That-Khé et transmettre à Lang-Son que l’investissement de Dong-Khé est irréalisable sans l’appui de l’aviation, qu’il faut attendre que le ciel se dégage, qu’on doit remettre à plus tard l’évacuation de Cao-Bang. (C’était ce que réclamait Charton à cor et à cri depuis deux semaines.)
La lourde colonne fait demi-tour. Lepage est optimiste ; l’aller s’est passé sans incident, il n’éprouve aucune crainte pour le retour. Il ignore que, surplombant la R. C. 4, l’ennemi est là aussi, dissimulé par bataillons entiers ; il ne sait pas que toute la matinée les viets l’ont regardé passer.
À deux heures de l’après-midi, la colonne est en vue du poste désaffecté de Na-Pa. Elle longe le massif montagneux de Na-Kéo qui, à l’est, domine
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