Par le sang versé
la route. Soudain, l’armée viet-minh attaque ; de la montagne, une grêle ininterrompue d’obus de gros calibre s’abat sur la R. C. 4.
C’est le carnage. S’ils restent exposés à découvert, les quatre mille soldats seront exterminés en moins d’une heure. Spontanément, par instinct, sans attendre les ordres, les survivants quittent la route, se précipitent dans la jungle. Ils n’ont qu’une seule issue : l’ouest.
C’est alors que Lepage prend une lourde décision. Comme le haut-commandement qui a monté toute l’opération « Thérèse », l’artilleur raisonne en stratège classique ; il ignore la force et les procédés de combat des viets ; il s’appuie sur une douloureuse chimère : contre les rebelles, la Légion est invincible. Ce matin même, l’action audacieuse du lieutenant Faulque a renforcé sa conviction : le B. E. P. peut tout, contre le B. E. P. on ne peut rien.
Lepage ordonne au commandant Segretain :
« Le B. E. P. s’implante dans le poste de Na-Pa. Vous fixez l’ennemi, vous le retenez, pour me donner le temps de manœu vrer dans la jungle, de trouver une piste, d’établir un point de rendez-vous avec la colonne Charton. Lang-Son n’aura qu’à lui ordonner de contourner Dong-Khé par l’ouest et de venir à ma rencontre par la forêt au lieu de suivre la route. »
Le B. E. P. a déjà perdu plus du tiers de son effectif. Pourtant, Segretain obéit sans discuter ; il fait occuper le poste de Na-Pa par ses légionnaires-parachutistes ; avec ses quelques cinq cents ou six cents survivants, il va essayer de tenir contre des dizaines de milliers de réguliers viet-minh.
Mais tandis qu’à l’aveuglette, Lepage s’enfonce avec ses Marocains à travers l’épaisseur de la jungle, Segretain, Jeanpierre et Faulque assistent à la naissance d’une nouvelle tragédie.
À la jumelle, Faulque suit le repli d’une compagnie du 8 e Tirailleur. Au moment où ils quittent la route, les Marocains sont attaqués par un régiment entier. Un survivant parvient jusqu’au poste et déclare que son capitaine est mort avec une centaine des leurs.
Segretain a compris. Pour l’instant, les viets ne vont pas l’attaquer. Ils vont se contenter de harceler Na-Pa sans prendre de risques. Mais, en amont et en aval du poste, ils traversent la R. C. 4 et organisent une gigantesque chasse à l’homme ; sur ce terrain dont ils connaissent les moindres replis, ils manœuvrent de façon à pouvoir écraser les fuyards où et quand ils le jugeront opportun.
Tout le sort de la colonne Lepage est en jeu.
Tranquillement, sans panique, aux côtés de Jeanpierre et de Faulque, le commandant Segretain fait le point de la situation. De cette discussion va jaillir un projet dont l’audace insensée ne peut-être expliquée que par le désespoir, la certitude qu’en restant sur place le B. E. P. se fera anéantir sans aider Lepage. D’un commun accord, les trois officiers, qui ne sont plus à la tête que d’un bataillon amputé et meurtri, surplombé par un ennemi retranché, organisé, et dix fois supérieur en nombre, décident tout simplement qu’ils vont contre-attaquer, se ruer à l’assaut du massif de Na-Kéo.
Avant la nuit, les parachutistes de la Légion se contentent de subir le tir d’artillerie et tentent de situer les positions de l’ennemi qu’ils se proposent d’investir en profitant de l’obscurité et de la surprise.
À vingt-deux heures, c’est l’attaque du B. E. P. Une compagnie incomplète d’un thabor s’est jointe à eux. C’est hallucinant. Les parachutistes tombent par grappes. On les croit décimés, ils se relèvent, retombent, repartent à l’assaut. Ils grimpent, ignorant l’enfer qui s’est déclenché sur eux, et ils arrivent à occuper plusieurs positions viets, qui, dans la fin de l’après-midi, les avaient pris pour cibles.
À mi-pente, il faut néanmoins se rendre à l’évidence. Le B. E. P. ne peut plus que se fixer et, tout au plus, tenir quelques heures. L’effet de surprise est dépassé, les viets les ont repérés. Segretain parvient à établir un contact avec Lepage qui continue à se replier à travers la jungle, de l’autre côté de la R. C. 4.
« Nous sommes sur le Na-Kéo. Nous avons contre-attaqué. Nous sommes parvenus à créer une diversion qui doit desserrer l’étreinte autour de vous. Nous décrocherons juste avant l’aube.
– Bravo ! répond Lepage, mais ne décrochez pas ! Tenez !
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