Par le sang versé
Ma jonction avec Charton en dépend.
– Impossible, nous nous ferions exterminer sans même vous aider. Le jour levé, il leur faudra moins d’un quart d’heure pour nous anéantir. »
Lepage insiste, refuse d’autoriser le repli du B. E. P. Il persiste toujours dans sa chimère. Il ne peut pas admettre que les légionnaires sont des hommes qui meurent comme les autres. La nuit se passe en palabres vains entre les deux officiers qui reprennent contact toutes les heures. Enfin, Lepage cède :
« D’accord, décrochez. Mais rejoignez-nous à toute vitesse. »
C’est au tour de Segretain de refuser : « J’ai une centaine de blessés, j’essaie de redescendre sur la R. C. 4 et de les évacuer sur le col de Loung-Phaï. Je vous rejoindrai après. »
Le commandant Segretain ne pourra pas mener à bien son projet. Brancardés par les quelques Marocains qui restent valides, les blessés sont les premiers à tomber dans une embuscade avant même d’avoir pu atteindre la route. Ils sont achevés aux côtés des hommes qui les portaient.
Le B. E. P. pourtant passe en force, abandonnant encore une trentaine des siens sur le terrain. Pour eux aussi, la seule issue est maintenant la jungle ouest. Les survivants du B. E. P. n’ont plus qu’à tenter de rejoindre Lepage.
Toute la journée du 3 octobre, Segretain, Jeanpierre, Faulque, progressent dans la forêt, guidés par la radio de Lepage et une boussole qui répond mal. Du bataillon, il ne reste que trois cent cinquante survivants, tout au plus quatre cents. Ils n’ont pas dormi depuis deux jours, ils n’ont plus de vivres, plus d’eau, ils sont à l’extrême limite de leurs forces. Mais ils ne sont pas vaincus. Vaincus ils ne le seront jamais. Du premier au dernier, ils sont tous prêts à reprendre le combat.
À dix-sept heures, un nouveau contact radio s’établit avec Lepage. L’artilleur semble avoir retrouvé un peu d’espoir. Il a obtenu deux liaisons avec Lang-Son. Dans une première, Lepage a fait part de sa situation catastrophique et donné sa position approximative. Une heure plus tard, Lang-Son a répondu que tout pouvait encore s’arranger. Qu’on allait donner l’ordre à Charton de se dérouter de la R. C. 4 et d’emprunter la piste de Quang-Liet. Il pourrait venir au secours de Lepage dans les gorges de Coc-Xa, en arrivant par les crêtes. C’est une question de vingt-quatre ou trente heures au maximum. Lepage conclut à l’adresse du commandant Segretain :
« Rejoignez-moi à Coc-Xa, ensemble nous tiendrons en attendant le bataillon du 3°Étranger. »
Segretain déplie une carte, l’évidence éclate. Coc-Xa est une immense cavité ou plus exactement deux cavités reliées par un étroit couloir, presque un tunnel.
« Coc-Xa est une cuvette ! crie Segretain dans le récepteur.
– C’est le seul endroit dans cette jungle où on puisse se défendre, réplique Lepage. Nous y sommes. N’oubliez pas que Charton va arriver par les crêtes. »
Segretain lâche le micro et se retourne vers Jeanpierre :
« On a tous rendez-vous dans un trou. Il faut y aller… Lepage a l’air content, il a trouvé une nouvelle roue de secours, le bataillon Charton. »
Faulque ricane :
« Le Vieux nous fait cocu avec le 3 e Étranger. Il compte maintenant davantage sur lui que sur nous. Nous l’avons probablement déçu.
– De toute façon, ce sont des légionnaires, fait remarquer Segretain. La Légion a un pouvoir tranquillisant sur cet artilleur, et s’il s’intéresse tellement à Charton, il va peut-être enfin nous foutre la paix. »
Jusqu’au crépuscule, le B. E. P. cherche à tâtons un chemin qui peut le conduire à Coc-Xa. Les parachutistes finissent par y parvenir, mais une fois encore la situation est inextricable. Ils se trouvent au sommet d’une falaise abrupte et impraticable. Un gouffre rapide de trois cents mètres. La nuit est presque tombée. Il n’est pas question de chercher à descendre avant l’aube du lendemain. Le B. E. P. s’installe sur la crête, les hommes vont enfin pouvoir dormir quelques heures.
Segretain de nouveau entre en contact avec Lepage auquel il transmet sa position après d’approximatifs calculs. Lepage situe : lui-même occupe la grande cuvette nord ; le B. E. P. se trouve en surplomb de la plus petite cuvette. Il donne l’ordre aux légionnaires de descendre dans la nuit.
Cette fois Segretain gueule carrément :
« Si je vous dis que c’est
Weitere Kostenlose Bücher