Par le sang versé
la guerre. La motrice et les wagons sont protégés par des sacs de sable disposés en abris pour les tireurs de F. M. (quatre par voiture). Çà et là, sur toute la longueur du convoi, des points d’impact et des traces de balles témoignent d’attaques récentes.
Les hommes de la 4 e compagnie s’entassent sur les banquettes en bois. Par instinct, les anciens se postent près des fenêtres, leurs armes à portée de la main.
Un sergent de la Coloniale qui traîne sur le quai renseigne le groupe de Klauss.
« Thu-Duc ? Vous êtes vernis ! C’est le Nogent de Saigon, à peine quinze bornes et la vie de château ! »
Le train met plus d’une heure pour atteindre Thu-Duc, roulant à peine plus vite qu’un homme au pas.
Pendant ce court trajet, la curiosité, l’agitation et l’étonnement des jeunes contrastent avec l’indifférence de leurs aînés. Dans chaque compartiment les anciens sont assis, étrangers au paysage, à la vie, à l’atmosphère de ce pays nouveau. Ce qui compte pour eux, c’est qu’ils sont assis, et leur attitude blasée évoque celle des usagers des lignes de banlieue. Les jeunes, en revanche, se disputent les rares places d’où on peut apercevoir quelque chose.
Les postes militaires de Bînh-Hoa-Xa, d’Apuong-Nhi et de Bon-Do sont découverts perchés sur les collines. Enfin, c’est la petite gare de Thu-Duc, puis de nouveau la marche à pied et l’installation dans une plantation désertée. Les locaux sont en dur.
Les 120 légionnaires sont placés sous le commandement du sergent-chef Klauss ; aucun officier ne les a accompagnés. Jusqu’à nouvel ordre, Klauss est responsable de la 4 e compagnie, il est relié au P. C. par un seul poste radio.
D’un regard expert, le sergent-chef a jugé la situation : le poste vient d’être quitté par la Coloniale, la défense en est malaisée, et surtout inapte à assurer la protection des quelques paillotes qui, à une centaine de mètres, composent un village.
Les sergents Favrier et Lantz fouinent partout, inspectent les pièces nues, cherchant à découvrir avant les autres un abri plus agréable, tandis que Bianchini a déjà ordonné à son groupe de nettoyer une grande pièce rectangulaire et de monter les lits. Klauss dispose des sentinelles, organise un tour de garde pour la nuit.
Alors commence l’installation de la Légion étrangère. Lentement, à la lumière des torches électriques, la machine se met en route ; les murs nus commencent à vivre ; un étrange fourbi est déballé des sacs ; affaires personnelles, souvenirs trouvent leur place auprès de chaque lit, et les hommes, pourtant exténués, ne penseront pas à prendre de repos avant d’avoir créé, chacun, le cadre qui lui est propre. À intervalles réguliers, les sentinelles, troublées par le chant monotone des insectes et par les bruits étranges et inconnus montant des rizières, ouvrent le feu au hasard, brisant pour un instant la lancinante jérémiade de la nuit.
Une semaine plus tard, la routine a succédé à la fièvre. Des tranchées ont été creusées, un réseau de fils de fer barbelés défend l’accès du poste, un rideau serré de bambous sert de protection aux guetteurs, qui doivent, désormais, rendre compte de chaque coup de feu tiré et être en mesure, chaque matin, de préciser la trajectoire de leurs balles et en désigner le point d’impact.
Par roulement, les légionnaires se rendent à Thu-Duc distant de quatre kilomètres. La route semble sûre et aucun incident ne sera à déplorer pendant plusieurs mois.
La bourgade de Thu-Duc, dont ils ont fait leur paradis, comprend deux bistrots (dont l’un, la Mère casse-croûte, sert aussi de bordel) et une officine de jeux. Quelques heures par semaine, les permissionnaires y échappent à la monotonie de la vie de poste.
Chaque matin, six hommes et un gradé partent en patrouille, d’une allure lente et routinière. Ils ont tous le sentiment de l’inutilité de ces promenades quotidiennes. Mais Klauss a appris qu’un poste qui ne sort pas s’asphyxie, et il respecte scrupuleusement les consignes.
La vie de la 4 e compagnie n’a rien de particulier. Dans un cercle de cinquante kilomètres autour de Saigon, le 3 e Étranger s’est regroupé au fur et à mesure de l’arrivée des navires. Le co lonel Lehur a installé son P. C. à Long-Binh, à vingt-cinq kilomètres au nord-est de Saigon. C’est de là qu’il a supervisé l’implantation des
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