Par le sang versé
compagnies dans des postes qui ceinturent la ville et qui tous ressemblent à Thu-Duc.
Pendant les trois premiers mois d’implantation du 3 e Étranger autour de Saigon les légionnaires découvriront la guérilla des embuscades, sans cadence, sans système, sans logique. Une patrouille est attaquée par des forces dix fois supérieures à son effectif, elle est généralement décimée, puis le calme revient souvent plusieurs semaines avant que l’on apprenne que, à une centaine de kilomètres de là, une autre patrouille vient, à son tour, de tomber dans un guet-apens…
La grande superficie sur laquelle étaient répartis les bataillons, la rareté et l’irrégularité de ces attaques-surprises, faisaient qu’elles étaient peu redoutées des petits groupes qui chaque matin quittaient les postes pour ce qu’ils appelaient la « promenade ».
Néanmoins, une psychose était née et elle devait rapidement tourner à l’obsession : ne pas tomber vivant aux mains de l’ennemi.
Les combattants viets dont la cruauté était connue de tous, semblaient vouer à la Légion une haine toute particulière, et les soldats du 3 e Étranger qui tombaient entre leurs mains étaient martyrisés avec un raffinement sadique qui dépasse l’imagination.
Dix-sept d’entre eux furent retrouvés crucifiés dans les ruines d’un village incendié, à une vingtaine de kilomètres seulement au sud-est de Saigon. Entre les épaules, la peau de leur dos avait été découpée horizontalement au rasoir et clouée à la barre de chaque croix. Les mains avaient été liées derrière le montant vertical, de manière à permettre leur coulissement.
On estime que le supplice de ces hommes avait duré plusieurs jours avant qu’ils ne connaissent la délivrance de la mort : cé dant à la fatigue, ils s’arrachèrent eux-mêmes la peau du dos, se laissant basculer en avant millimètre par millimètre.
D’autres furent empalés au bambou. Liés assis à des chaises percées, un bambou aiguisé planté sous leur siège les déchiquetait avec une atroce lenteur (la croissance d’un bambou est de plusieurs centimètres par jour).
Certains furent enduits de sirop de sucre et garrottés sur une fourmilière (les fourmis rouges d’Indochine ont la taille d’une petite abeille).
Ces atrocités, et bien d’autres, hantaient l’esprit des hommes et avaient fait naître en eux une idée maîtresse : le suicide plutôt que la capture, et cette tragique résolution était appliquée sans hésitation par chaque soldat, chaque gradé, chaque officier à l’instant où il jugeait que sa défense était devenue désespérée.
La méthode la plus courante était, bien entendu, la dernière balle que l’on gardait pour soi. Mais de nombreux légionnaires estimaient que c’était une balle gâchée et avaient appris (souvent des médecins de bataillon) comment se donner la mort à l’aide d’un poignard de combat, en bloquant la pointe entre deux côtes à hauteur du cœur et en frappant un coup sec sur le manche.
Le 26 juin 1946 à neuf heures du matin, six hommes de la 8 e compagnie quittent le poste de Giong-Trom à soixante kilomètres au sud-ouest de Saigon. Ils sont précédés à 400 mètres environ par une patrouille de la Coloniale commandée par le sous-lieutenant Bâcle.
La destination des deux patrouilles est le village de Cao-Mit distant d’une douzaine de kilomètres.
Les hommes comptent les parcourir en trois heures, demeurer deux heures à Cao-Mit et être de retour à leur poste dans la soirée.
Parmi les légionnaires se trouve un tout jeune Français, Lucien Mahé ; trois Allemands, Kreur, Kraatz et Hampe ; un Ita lien, Pazut. La responsabilité de ce petit groupe incombe à un sergent allemand, Gunther Roch.
Roch n’a pas la réputation d’être un sensible. C’est un colosse blond qui méprise et sanctionne la faiblesse. Il exécute les ordres comme un robot sans chercher à les comprendre, sans jamais les commenter, et il attend de ses subordonnés la même obéissance aveugle. Kreur et Kraatz sont arrivés ensemble à la Légion. Dans l’armée allemande ils étaient tous deux sous-officiers d’infanterie, ils appartenaient à la même unité, ils ne se quittaient jamais. Kraatz a récemment refusé une possibilité de promotion, en dédaignant l’offre de participer à un peloton qui lui aurait permis d’accéder au grade de caporal-chef, mais l’aurait éloigné deux mois de la 8
Weitere Kostenlose Bücher