Paris, 1199
l’île, mais le
roi les a fait se déplacer ici où ils ont plus de place et sont plus près des
pâturages de Saint-Denis (il désigna une rue par laquelle un troupeau de
moutons arrivait).
Pendant qu’ils traversaient prudemment la place
encombrée, il poursuivit :
— Quand j’étais enfant, mon grand-père m’a
dit qu’il y a cinquante ou soixante ans, je ne sais plus, le roi et son fils
étaient venus ici pour vérifier la solidité de l’enceinte, car, à cette époque,
un talus avec une palissade et des tours encerclait le Monceau-Saint-Gervais,
fief du comte de Meulan. Comme ils traversaient cette place, un porc errant s’est
jeté dans les jambes de la monture du fils du roi. Effrayé, son cheval s’est
cabré et le jeune garçon s’est tué en tombant. Depuis, il est interdit de
laisser errer les porcs, sous peine de leur confiscation au profit du bourreau
de Paris, mais la confrérie des bouchers est si puissante que le prévôt ne
parvient pas à faire respecter la loi.
Ils passèrent une vieille porte fortifiée puis
suivirent une étroite ruelle qui serpentait en grimpant légèrement. Elle était
bordée de petites maisons à colombages dont les encorbellements étaient à moins
d’une toise du sol, aussi devaient-ils faire avancer leur monture au milieu du
chemin défoncé par des trous puants. Tout au long, des artisans écorchaient des
peaux, et comme ils jetaient les déchets dans la rue, chiens et porcs en
liberté se les disputaient.
— Le Monceau-Saint-Gervais, tout comme le
Monceau Saint-Germain-l’Auxerrois, au couchant, sont construit sur des hauteurs
qui ne sont pas noyées durant les crues, dit encore Amaury, mais la Seine monte
parfois jusqu’ici, c’est pourquoi la ruelle est si ravinée.
Ils arrivèrent à un carrefour à peine plus large
où le jeune garçon désigna la passerelle de planches franchissant la rivière,
posée sur les vieilles piles du pont romain. Les piétons y étaient si nombreux
qu’ils se bousculaient. Locksley remarqua que beaucoup étaient des pèlerins à
la coquille qui se rendaient à Compostelle.
— Cette rue conduit à l’abbaye Saint-Martin
hors les murs, dit encore Amaury, désignant la ruelle puante qui prolongeait la
passerelle mi-brais. L’église Saint-Merry est un peu plus haut et votre auberge
juste derrière, contre le talus de la vieille enceinte. Le
Monceau-Saint-Gervais était fortifié par un talus et une palissade, mais depuis
que le roi a construit la nouvelle enceinte, cette clôture est mise à bas et on
construit des maisons à sa place.
La rue Saint-Martin était aussi encombrée que les
chemins qu’ils avaient suivis. À un autre carrefour, Amaury désigna une petite
chapelle entourée de quelques tombes.
— C’est l’église Saint-Jacques où se réunit
la confrérie des bouchers.
Le jeune homme savait combien il était difficile
de se repérer dans une grande ville et, en désignant ainsi les églises, il
donnait à son compagnon le moyen de retrouver son chemin, quand il serait seul.
Une nouvelle église, beaucoup plus grande que
Saint-Jacques dépassait du toit des maisons. Il la montra du doigt.
— Nous voici arrivés ! C’est
Saint-Merry. L’ancienne porte de l’enceinte du Monceau, l’Archet-Saint-Merry,
est juste derrière. Votre auberge se trouve dans la lice qui longe le vieux
talus fortifié.
Ils passèrent l’église. Derrière s’étendait une
ancienne fortification sur laquelle s’adossaient quelques maisons éparses.
Amaury désigna la plus grande qui avait une corne de fer pendue à deux chaînes
sous l’encorbellement de la façade. La porte basse était cloutée avec, de part
et d’autre, deux petites fenêtres aux carreaux en losange, en verre épais vert
et rouge.
— C’est votre auberge, seigneur. Voulez-vous
que je reste avec vous ?
— Non, reviens demain matin. Renseigne-toi
sur Gilles de Corbeil, je dois aller chez lui. Tu habites chez ton père ?
— Non, seigneur, je vous l’ai dit, il m’a
chassé… Je dors chez la tante de mon père. Elle est veuve et habite une petite
maison dans la rue des Rosiers. En échange, je l’aide au jardin et je porte les
pétales des fleurs qu’elle cultive aux fabricants d’eau de rose. Si vous voulez
me trouver, il faut passer l’Archet-Saint-Merry (il désigna la vieille porte
fortifiée) et prendre à droite. On ne peut pas se tromper, car la rue des
Rosiers est bordée de jardins où l’on cultive des roses.
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